Traduction et adaptation  Michel Polichtchouk

 

Drame en deux actes, quatre tableaux

 

  

Les personnages :

 

Jacob, au début de l'histoire il a trente-trois ans.

 

Rachel, au début de l'histoire, elle a treize ans.

 

Léa, à sa  première apparition, elle a vingt-sept ans.

 

 

Premier acte

 

Premier tableau

 

Un champ brûlé par le soleil. Un puits. L’embouchure du puits est bouchée par une pierre énorme, de la taille d'un homme. Près du puits, des abreuvoirs pour les moutons. D’un côté du puits - un seul arbre - un figuier branchu. Une chaleur ardente d'après-midi.

 

Jacob se traîne à bout de forces. Il est couvert de poussière et sale. Il porte une besace accrochée à un bâton  sur son épaule. Il regarde méticuleusement les abreuvoirs des moutons. Mais sur la scène on ne voit que les plus proches  du troupeau s’entend au loin jusqu’au puits.

 

 

Jacob : (il inspecte méticuleusement les abreuvoirs, passe son doigt à l’intérieur)

C'est sec.

(Il essaye de toutes ses forces de pousser la pierre qui recouvre le puits. Il fait tant d'efforts qu’il semble qu’il va s’effondrer raide mort. C’est au-dessus de ses forces. Jacob tombe, il gémit. Puis il saisit son bâton et sa besace et rampe jusqu’au figuier, dans son ombre. Il se couche mettant sa besace sous la tête et se fige comme une statue. On ne sait pas s'il est mort ou simplement endormi.)

 

 

Au loin, puis de plus en plus près, enfin tout près,  le doux bêlement d’un troupeau, le fin carillon des cloches, le bruissement d'un petit troupeau, une mélodie à la flûte. La mélodie s'arrête en premier.

Et peu à peu, les uns après les autres, tous ces sons s’arrêtent. On n’entend plus que le tapage des moutons, du troupeau qui s'installe.

 

En bondissant telle une jeune biche,  apparaît Rachel, portant  une flûte et une cruche. Elle a un air pittoresque. Elle est très fine avec de longues jambes, un peu gauche, mais promet de devenir gracieuse. C'est une jeune fille de treize ans. Ses longs et splendides cheveux noirs, frisés, s’éparpillent généreusement sur ses épaules.

Par son petit visage, elle rappelle légèrement une agnelle.

 Elle est habillée dans des tons rouge-foncé.

 Elle s'arrête près de la pierre et boit la dernière goutte de sa cruche, pose la cruche sur la pierre et va sous le figuier.

 Elle s'arrête près de Jacob et sans l’avoir remarqué, commence à jouer de la flûte.

 

Jacob : (avec grande difficulté soulève la tête et la regarde)

Donne-moi aussi à boire de ta cruche!

 

(Rachel ne prend  pas peur mais arrête de jouer et fixe Jacob en silence)

 

Tu n'as donc pas compris ce que je t'ai dit?

 

Rachel :

La cruche est vide. Je viens de finir les dernières gouttes. Si tu t'étais fait connaître avant, je me serais abstenue et je t'aurais donné l'eau à toi ! Et maintenant, il faut attendre. Lorsque tous les troupeaux se retrouveront ici, alors   les bergers, tous ensemble bougeront la pierre de l’embouchure du puits et tu satisferas ta soif !

 

Jacob : (Il se relève avec difficulté. Il va vers la pierre, jette un regard dans la cruche. Il la renverse au- dessus de son visage. Pas une goutte d'eau.)

Qu'est-ce que tu as à me regarder ? Aide-moi!

 

Rachel :

(Elle met sa flûte dans sa ceinture et s'approche de la pierre.)

Toi et moi, nous ne pouvons venir à bout de cette pierre, étranger ! Il faut pour pousser cette pierre une demi-douzaine des bergers les plus forts et  les plus puissants.

 

Jacob : (il essaye quand même de pousser la pierre)

Tu es bien bavarde. Aide-moi, ce sera mieux ! Allez !

 

Rachel, de bonne foi, de toutes ses forces essaye avec Jacob de pousser la pierre. Jacob ne résiste pas à cet effort et s'assoit.

 

Rachel : (respirant avec peine.)

Patiente un peu, étranger ! La chaleur, tu vas voir, va bientôt baisser. (Elle s'éloigne sous le figuier)

 

Jacob :

C'est facile pour toi de parler ! Tu viens de satisfaire ta soif et tu t’es tout de suite mise à l’ombre. Alors que moi, j'ai passé toute cette nuit étouffante sans une seule gorgée d'eau. Et j'ai marché toute la matinée jusqu'à midi, sur la terre brûlée, sous le soleil ardent, sans étancher ma soif. Et l'air était chaud, immobile. Et je n'ai pas trouvé un seul arbre pour me reposer à l'ombre. Et je n'ai rencontré ni un puits, ni une source. Où prendre de l'eau ?

 

Rachel :

Jusqu’à l'arrivée des bergers, il n’y a nul endroit où trouver de l’eau. Mais voyons, à présent tu sais que tu vas d’ici peu satisfaire ta soif ?! C'est plus facile de patienter quand on sait que son désir sera réalisé. Et que l'on est fixé sur les délais.

 

Jacob se traîne avec difficulté sous le figuier. Il s’arrête près de Rachel et la regarde fixement. Rachel lui sourit.

 

Jacob : (Il revient à la place qu'il occupait sous le figuier.)

C'est facile pour toi de discuter ! Mon palais est plus sec que le sable blanc. Ma langue est fendue et tourne à peine dans ma bouche. Mes dents sont comme des pierres. Mes yeux deviennent aveugles à cause de la canicule. Ma tête brûle et la nuque est rompue. Et c’est comme si mon corps se trouvait quelque part, très loin de moi.

 

Rachel :

Bientôt il y aura de l'eau!

Et je serai la première à remplir ma cruche.

Je courrai à toi et déverserai toute l'eau froide sur ta tête. Je me précipiterai plus vite que le vent pour remplir une deuxième cruche. Et je te donnerai à boire !

Et de nouveau, lestement je remplirai une troisième cruche pour l’ablution de ton corps, étranger. Et ce sera bientôt ! Et en attendant, je vais jouer pour toi de la flûte. Si tu veux . Et la musique va écourter ton attente. (Elle approche sa flûte de ces lèvres et regarde Jacob, en attendant.)

 

Jacob :

 Toi, maintenant, tu es bien ! Tu as le visage frais et les lèvres humides. Et ta bouche aussi est humide. Et des gouttes de salive transparentes brillent sur tes dents blanches. C'est très facile pour toi de me persuader d'être patient. Tu t’apprêtes à jouer de la flûte pour moi ?! Ce serait mieux si tu étais moins aimable mais plus généreuse ! Si tu soulageais mes souffrances ! Partage avec moi cette humidité qu'il y a en toi !

 

Rachel : (Elle rit)

Je partagerais volontiers avec toi ! Mais, étranger, souffle-moi comment cela est-il possible ? Si je t'avais remarqué avant, je t'aurais donné tout ce que ma cruche contenait encore. Or maintenant c'est trop tard pour partager ! La cruche est vide ! Je ne peux plus rien pour toi. Je peux seulement colorer ton attente.

 

Jacob :

Une petite goutte d’eau, c’est donc trop pour toi ?

 

Rachel :

Mais tu as bien vu que la cruche était vide ! Où pourrais-je prendre cette goutte que tu demandes ?

 

Jacob:

Je la prendrai moi-même. Approche-toi de moi et penche-toi !

 

Rachel baisse sa flûte, s'approche de Jacob et sans aucune crainte se penche sur lui.

 

Je ramasse cette goutte de tes lèvres, de ta langue, de tes dents blanches. Ne sois pas avare ! Autrement, je ne resterais pas en vie jusqu'à l'arrivée des bergers que tu as promise !

 

Rachel :

Tu délires ou bien tu plaisantes, étranger ?

 

Jacob :

Je meurs ! Mets-toi à genoux et incline ton visage vers le mien.

 

Rachel sans aucune crainte, se met à genoux et  approche son visage de celui de Jacob. Jacob appose ses lèvres sur celles de Rachel. Longtemps, comme s’il buvait en vérité sans pouvoir satisfaire sa soif. Il tient le visage de Rachel dans ses mains comme une amphore. Rachel reste immobile. Jacob s'éloigne d'elle et la regarde étonné.

 

Rachel : (Avec bienveillance, impassible)

Tu te sens mieux, étranger ?

 

 

Jacob ne dit rien et regarde Rachel droit dans les yeux.

 

Ton visage a rougi. Et tes yeux se sont mis à briller. Maintenant tu vas pouvoir patienter jusqu’à l’arrivée des bergers. Je suis heureuse pour toi !

(Elle s'éloigne, va s'asseoir de l'autre côté du figuier et se met à jouer de la flûte).

 

Jacob : (il rampe vers Rachel et la regarde longuement et fixement)

Tu es heureuse pour moi ?

 

Rachel est concentrée sur sa flûte. Elle prend tendrement le bec de l'instrument entre ses lèvres.  Ses doigts pianotent  agilement le long des trous de la flûte.

 

Jacob :

Jette ce pipeau ! (il lui arrache la flûte des mains)

Pourquoi t’es-tu éloignée de moi ? (Il jette la flûte sur le côté)

 

Rachel :

Je me suis pliée à ta demande, étranger. Et si je me suis éloignée c’est pour ne pas te déranger durant ton repos.

 

Jacob :

J'ai passé ma langue sur chacun des  moindres plis de tes lèvres. J'ai touché  avec ma langue leurs coins. J'ai longuement appuyé ma langue sur cette petite fossette  finissant à l’extrémité du nez, sous la lèvre supérieure. J'ai léché avec ma langue chacune de tes dents, et de l’intérieur, et de l’extérieur, et celles qui sont visibles de tous, et celles du fond qu’on ne voit que si tu ris ou si tu cries de volupté. Je me suis emparé de ta langue  et je l’ai longuement caressée avec ma langue. J'ai bu ta respiration humide jusqu'à en étouffer moi aussi. Et toi, tu as pris dans la bouche  ton pipeau pour le caresser avec les lèvres, les doigts, et tu me dis : Ť  je suis heureuse pour toi ť!

 

Rachel :

Ta tête, ça va mieux, étranger ? On dirait que ça ne te fait plus souffrir?

 

 

 

Jacob :

Elle ne me fait plus souffrir mais elle est en feu ! Et mon sang frappe avec rage dans les tempes.

 

Rachel : (avec curiosité)

Et maintenant tu sens ton corps ?

 

Jacob :

Mon sang se précipite dans mes veines tels les ruisseaux furieux des montagnes. Mon cœur se démène à tel point que je crains que ma poitrine ne le contienne pas. Et j'ai peur si j’ouvre trop la bouche qu’il ne s’échappe de moi et ne bondisse sur ce champ brûlé.

 

Rachel :

Je suis très heureuse pour toi, étranger ! Je vais chercher ma flûte.

(elle se lève pour s'éloigner de lui)

 

Jacob :

(Il la saisit par le bas de sa jupe)

Elle est heureuse pour moi ! Tourne donc ta tête ! Et regarde enfin ce qui se passe entre mes jambes !

 

Rachel : (Elle tourne la tête et regarde calmement.)

Je vois.

 

Jacob : (Attrape ses mains.)

Elle voit ! Tends tes mains et touche !

 

(il appuie ses mains contre son aine)

 

Tu sens comme elle s’est raidie ? Comme elle est devenue immense !  Elle s’est dressée si soudainement que mon pantalon s’est déchiré !

 

Rachel :

Presse-toi que nous ayons le temps ! Et qu’à l’arrivée des bergers, tu les aies remis.

 

Jacob sursaute et avec empressement, avec agitation, commence à dénouer tous les lacets pour enlever son pantalon. Rachel cherche sa flûte.

 

Jacob : (Etouffant)

Tu es d'accord ? Tu n’es qu’une enfant ! Quel âge as-tu ?

 

Rachel :

Treize ans.

 

Jacob :

Treize ans! Et déjà si accommodante ! Si serviable ! Si bonne pour chaque étranger rencontré par hasard !

 

Rachel : (Elle trouve sa flûte. La regarde fixement et essaye le son.)

Pour moi, il n’y a rien là de difficile! Et je n'ai rien d’autre à faire, en ce moment. Et pourquoi ne pas aider un étranger rencontré par hasard ?

Mon temps aussi passera plus vite !

 

Jacob :

Treize ans! Et si raisonnable! Et si intelligente! (il enlève son pantalon)

 

Rachel : (Elle tourne la tête .)

Plus vite, donne-moi ton pantalon !

 

Jacob : (étonné, il le lui donne quand même)

Mais pourquoi veux-tu mon pantalon ?

Et pourquoi détournes-tu la tête ?

 

Rachel :

Tu es un homme et je suis une fille. Tu n'es pas intimidé par moi. Mais moi je ne dois pas regarder comme ça un étranger rencontré par hasard. C’est indigne. Et tu penses exactement comme moi.

(Elle examine le pantalon) J'ai toujours du fil et une aiguille avec moi. Ne t’inquiètes pas, j’ai le temps avant l’arrivée des bergers. Et j'aurai encore le temps de jouer de la flûte pour toi.

 

Jacob :

Merci! Tu es très attentionnée à mon égard ! (il prend la flûte des  mains de Rachel et debout derrière elle, approche la flûte des lèvres de la jeune fille)

 

Rachel attrape la flûte avec ses lèvres et rit.

 

(Très lentement il l’agite devant le visage de Rachel et ne la laisse pas attraper  la flûte avec ses lèvres. D’une voix insinuante.)

J'ai besoin de toi maintenant pour quelque chose de très, très différent.

 

Rachel réussit à attraper la flûte avec ses lèvres. Jacob lui permet quelque temps de garder le bec de la flûte en bouche puis se met à lui retirer, peu  à peu. Rachel rit et essaye de garder la flûte en bouche.

 

Tu sais bien comme on peut désirer quelque chose très fort. Et tu sais déjà ce qu’un homme attend d'une femme, si fort, qu'il ne parvient parfois pas à se dominer.

 

 

 

Rachel :

Oui, je sais. C’est que j'ai grandi parmi des bergers. (Elle prend la flûte dans les mains et joue.)

 

Jacob : (il tourne sa tête vers lui)

Comme il se tend vers toi ! Il est littéralement sur le point de se détacher avec les racines de mon aine ! Et mes cuisses sont tendues à ce point que la peau est prête à se fendre, là, maintenant. Eloigne la flûte de tes lèvres ! Dépose tes mains sur lui et apposes-y tes lèvres! Et ça sera bien. Sinon je vais mourir dans l’instant. (Il lâche sa tête. Lui enlève la flûte et la pose de côté. Il s'assoit à côté de Rachel. Avec douceur.)

Je comprends, tu es encore si petite. Et tu es troublée. Je ne te ferai plus peur.

 

Silence

 

Voilà, tu sais ce que tu vas faire! Renverse-toi sur le dos dans cette ombre paradisiaque. Ferme les yeux. Tu as besoin de somnoler un peu et je veillerai sur ton sommeil comme le plus sûr des gardiens.

 

Silence

 

Déploie librement, largement, tes bras. Les paumes tournées vers le ciel. Entrouvre ta bouche pour ne pas gêner la respiration. Et écarte légèrement les jambes! Et c'est tout ! Tu vas te sentir légère et fraîche.

 

Silence

 

Tu ne me fais pas confiance ? Ça me chagrine.

 

Rachel :

Je te fais confiance, étranger.

 

Jacob :

Dans ce cas pourquoi ne fais-tu pas ce que je t'ai dit ? Est-ce si difficile ?

 

Rachel :

Non ce n'est pas difficile, étranger.

 

Jacob :

Dans ce cas, fais donc!

Tu t'es préoccupée de moi, je veux à mon tour prendre soin de toi.

 

Rachel s’allonge comme Jacob l'a demandé.

 

Et maintenant, es-tu bien ?

 

 

Rachel :

Je suis bien. Merci, étranger du hasard.

 

Jacob :

Et moi, je commençais à croire que tu ne me faisais pas confiance ! Endors-toi ! 

( Il enlève sa jupe avec précaution et dénude ses pieds.) Je te promets un songe agréable.

 

Rachel :

Pourquoi dénudes-tu mes jambes ?

 

Jacob :

Il fait très chaud ! Je voudrais un peu m’occuper de toi. Laisse-moi donc faire et  repose-toi.

 

Rachel :

Merci. Je vais m’endormir. Et toi, que vas-tu faire ?

 

Jacob :

Je vais veiller sur ton sommeil.

 

Rachel : (somnolante)

Merci. Je suis épuisée. Je dors toujours à cette heure… Etranger !

 

Jacob :

Oui, fille ?

 

Rachel :

Quand tu entendras que s’approchent de ces trois côtés d’immenses troupeaux, quand tu verras des nuées de poussières partout, quand tu entendras bêler et sonner les clochettes… réveille-moi !

 

Jacob :

Je ferai ainsi. Ne t'inquiète de rien. Dors ! (Il la surveille, tendu.)

 

 

Rachel pousse un soupir, détourne la tête de Jacob et se fige. Jacob brusquement soulève la jupe de Rachel sur sa tête, s'étend de tout son corps sur elle et pousse un cri joyeux, un hurlement glorieux, tel un chasseur ayant capturé sa proie, mais Rachel avec une  agilité insoupçonnée s'échappe et bondit sur le côté. Elle se fige, prête à s’enfuir.

 

Rachel :

Tu es menteur ! Tu m'as demandé de m'allonger. Je me suis allongée. Tu m'as promis de veiller sur mon sommeil !

 

Jacob se rend compte qu'il ne sera pas en mesure de rattraper Rachel si elle se met à courir. Il reste à sa place.

 

Jacob :

Je ne suis pas le gardien de ton sommeil ! Durant de nombreux jours je n'ai pas eu de femme ! Que dois-je faire après tout ça ?

 

Rachel :

Il fallait demander tout de suite ! Je sais ce qu'il te faut faire après tout ça ! C’est que j'ai grandi parmi les bergers ! Et je peux t'aider.

 

Jacob :

Alors, aide-moi au plus vite! (Il s’approche avec précaution de Rachel)

 Quel est ton prix ! (Amicalement il met ses mains sur les épaules de Rachel) Aide-moi, gentille fille !

 

Rachel :

Allons !

(Elle lui fait faire le tour de la pierre et lui montre quelque chose.)

Voilà, regarde ! A l’écart des agnelles blanches et tachetées, il y en a une noire ! Et quand les bergers ont un visage aussi malade que le tien en ce moment, ils vont à cette agnelle noire. Elle est habituée. Elle aime qu’on folichonne avec elle. Et plus c’est fréquent, plus elle est gaie. Et même les béliers se battent cruellement pour elle ! Ils ont tous besoin d'elle. Et les bergers et les béliers. Va vers l’agnelle noire, étranger !

 

Silence

 

Jacob : (il se couvre avec les mains et s'éloigne de Rachel)

As-tu déjà connu des hommes?

 

Rachel :

Non! Mon heure n'est pas encore venue. (elle recoud le pantalon à la hâte)

Va vers l'agnelle noire, étranger ! Elle a connu beaucoup d'hommes !

 

Jacob : (Tentateur)

Bien, je vais aller vers l'agnelle. (Il se dirige vers l'endroit que Rachel lui a désigné mais s'arrête) Tu ne sais même pas quel plaisir tu abandonne à cette agnelle voluptueuse ! Viens avec moi ! Regarde au moins comment nous allons nous amuser gaiement avec elle ! Reste au moins à côté. Au moins, enlace la par le cou comme ta sœur. Tu verras comme ce sera bon pour nous trois.

 

Rachel :

Je connais ce jeu . C’est que j’ai grandi parmi les bergers. Au printemps, quand tous les bergers ont le même visage, que le tien en ce moment, quand l’herbe est encore haute et épaisse, je me cache dans l’herbe et j'épie longuement les bergers. Oh, tout ce qui leur arrive est si semblable. Le berger s'approche de l'agnelle noire, son visage est méchant, mécontent, comme tu l’as maintenant. L'agnelle, en le voyant commence à (trépigner) piétiner sur place, comme si elle s’apprêtait à le fuir, mais, non, elle ne s’enfuit nulle part. Le berger la saisit fermement par les pattes arrières, la soulève de terre dans une saccade et s’enfonce dans son derrière remuant. Et ses cuisses s’agitent dans tous les sens ! A croire qu’il veut déchirer l'agnelle, la tuer par ses coups, l'enfoncer dans la terre. Et les pattes avant se cassent. Et elle tombe. Mais lui, la tient fermement et ne la laisse pas tomber. Et elle bêle plaintivement. De plus en plus fort. Et lui, il la jette à terre et la traîne dans la terre d'un côté à l'autre ! Et de ma cachette, j'aurais pu penser  qu'il y a longtemps qu’elle ne sent plus rien, qu’elle est morte. S’il n’y avait pas eu ses bêlements déchirants! Quant au berger, l’expression de son visage devient suffisante et rassasiée. De sa gorge s’échappent des cris. Et ils se mêlent aux  bêlements. Et il la rejette et s'éloigne. Elle, elle se traîne comme un amas informe. Et seuls ses flancs se soulèvent. Et malgré tout, elle se relève. Et sur ses faibles pattes, soit elle rampe, soit elle claudique à sa suite. Et bêle, bêle ! Piteusement, mais réclamant ! Elle demande davantage ! Va vers l'agnelle noire, étranger !

 

Jacob :

Tu envies l'agnelle noire !

N'aies pas peur ! Reçois ce plaisir toi-même ! Je vais t'aider !

 

Rachel :

Non, étranger ! Va vers l'agnelle noire !

 

Jacob :

Et pourquoi épies-tu les bergers entrain de faire des choses avec l’agnelle noire.

 

Rachel :

Je veux comprendre ! Est-il possible que ce soit tout ce dont les hommes aient besoin ? !

Ton pantalon est prêt. (Elle lui jette le pantalon) Tu peux le mettre.

 

Jacob :

Qu'est-ce qu'un homme peut attendre encore d’une femme ?

Quoi, fille ? Merci pour le pantalon ! (Il met le pantalon.)

La soif me tourmente toujours! Une goutte de ton humidité c'est trop peu pour un homme comme moi. Viens, on va jouer à un bon jeu afin que j’oublie la soif ! Ou bien as-tu peur ?

 

Rachel :

Quel est ce jeu que tu me proposes, étranger ?

 

Jacob :

Je vais t'apprendre à y jouer.

 

Rachel :

Je suis d'accord, étranger !

 

Jacob :

Dans ce cas, lève-toi !

 

Rachel se met debout

 

Jacob :

Et moi je vais me mettre derrière toi. Tu vas te figer ! Et reste immobile, quoique je fasse avec toi. Et tu n’as pas le droit de te retourner. Tu dois deviner ce que je fais et dire ce que c’est. Et encore, tu dois dire si ça t’est agréable. Si tu dis que c’est désagréable, le jeu s'arrête. Et c’est moi qui perds!

Pour toi, ce jeu est facile! Pour moi, c'est plus difficile ! Car je dois dire ce que toi tu y t’apprêtes seulement à faire. Et si je ne devine pas, c’est moi qui perds.

 

Rachel :

Comment peux-tu savoir, toi étranger ce que je suis sur le point de faire ?  Personne ne peut savoir ça de l'autre ! Et l'Homme ne le sait pas toujours pour lui-même!

 

Jacob :

Mais je suis sûr malgré tout de ne pas me tromper ! J'ai joué beaucoup à ce jeu ! Et si je ne me trompe pas, c’est moi qui aurais gagné!

 

Rachel :

Dis-moi, si tu gagnes, qu'exigeras-tu de moi ?

 

Jacob :

Alors, tu devras jouer à ce jeu avec moi, jusqu'à l'arrivée des bergers.

 

Rachel : (elle rit)

Et si moi, je gagnais ?

 

Jacob : (il rit)

Je ferai tout ce que toi, tu voudras.

 

Rachel : (elle rit)

Dans ce cas, tu iras vers l'agnelle noire!

 

Jacob :

On joue ? !

 

Rachel :

On joue !

 

Jacob :

Mais d’abord il faut que nous passions un accord ! Tu n'arrêteras pas le jeu.  Nous jouerons jusqu'au bout !

 

Rachel :

Je promets. Nous jouerons, toi et moi, jusqu'à ce que l'un de nous perde !

 

Jacob :

Ferme les yeux ! On commence !

 

Rachel se tient debout, couvrant ses yeux de ses mains. Jacob se met derrière elle.

 

Baisse ta petite tête ! Dans ce jeu, il ne sied pas à une femme de garder sa tête si fière et si haute.

 

Rachel incline la tête. Jacob avec les lèvres et la langue touche la nuque de Rachel.

Que suis-je en train de faire?

 

Rachel :

Tu touches ma nuque avec quelque chose de chaud et pointu comme un couteau. Et puis tu m’effleures avec des pétales de tulipe.

 

Jacob :

Tu as deviné, fillette.

Est-ce que c'est bon ?

 

Rachel :

Oui c'est bon.

 

Jacob : (Il se serre tout contre elle, respire péniblement.)

Et là, qu'ai je fait ?

 

Rachel :

Tu t'es mis près de moi.

Je sens dans mon dos la chaleur de ton corps.

 

Jacob :

Et cela, est-ce que c’est bon?

 

Rachel :

C'est bon.

 

Jacob : (De ses deux mains, il renferme ses petits  seins et d’une voix rauque ) Ne bouge pas ! Tu as promis de ne pas interrompre le jeu.

 

Rachel :

Je n'en avais pas même l’intention. Il me plaît, ton jeu.

 

Jacob :

Alors, dis moi ce que je fais maintenant ?

 

Rachel : (elle rit)

Tu as mis mes petits seins dans tes énormes paumes. Et ils ont rempli tes paumes comme les oiseaux remplissent le nid.

 

Jacob :

Et cela, te fait-il du bien?

 

Rachel :

Ca me fait du bien.

Tu as les mains douces, bonnes, étranger du hasard.

 

Jacob : (il se serre contre elle)

Et là, qu’ai-je fait ?

 

Rachel : (elle rit)

Tu t’es serré contre moi de toutes tes forces. Et je sens toute ta chair. Mais tu es un menteur! Quand donc viendra ton tour ? Quand vas-tu commencer à deviner?

 

Jacob :

A présent, entre tes jambes fines et griffées, c’est devenu humide.

J'ai deviné ? Pourquoi ne dis-tu rien ? J'ai deviné ?

 

Rachel : (Tout bas)

Non.

 

Jacob :

C'est toi, qui mens ! Je vérifie !

 

Rachel : (Précipitamment)

Il ne faut pas !

Tu as dit la vérité, étranger !  Dis-moi, ce que je vais faire, maintenant ?

 

Jacob :

Et maintenant, tu vas te cambrer et tu vas t’avancer comme si tu me fuyais. Mais, ce sera le contraire, tu vas coller tes cuisses contre moi encore plus fort.

 

Rachel :

Oui…(Elle fait tout ce qu’il a dit comme malgré elle et pousse un court gémissement)

 

 

Jacob :

J’ai deviné ? Dis-moi ?

 

Rachel :

Oui, étranger du hasard! (Elle pousse de nouveau un gémissement) Et que vais-je faire maintenant ?

 

Jacob :

Et maintenant tu vas mettre tes paumes sur tes fesses…

 

Rachel : (avec un gémissement)

Oui… (Comme si elle se battait avec elle -même, elle passe les mains derrière le dos et pose ses paumes sur ses fesses) et maintenant, étranger? (Elle pousse un nouveau gémissement)

 

Jacob :

Et maintenant, avec impatience,  tu vas écarter tes fesses avec tes petites mains…

 

Rachel gémit et se cambre.

 

Je ne t'ai pas trompée ? N’est-ce pas un jeu passionnant ? Dis-moi, je ne t'ai pas trompée ?

 

Rachel : (très bas)

Non, tu ne m'as pas trompée.

 

Jacob :

Patientons encore un petit peu, toi et moi. Comme ton cœur bat ! Tu m'as forcée à souffrir. Oh, tu n'y tiens plus à présent, coquine ! Et comme tu as peur ! Non, je ne te contraindrai pas ! Ça m’est délicieux de sentir comme tu languis! J’attends…

 

Rachel : (comme un écho)

 J'attends…

 

Jacob :

Allons, écarte tes deux solides moitiés de pomme !

Je te dirai ce qu'il se passera ensuite. Veux-tu ?

 

Rachel :

Dis.

 

Jacob :

C’est si simple! Tu vas te mettre à te cambrer, n'en pouvant plus et me pressant d’entrer en toi. Mais prépare-toi, fillette! Ca ne se passera pas comme tu l'attends. Je n'entrerai pas en toi, je ferai irruption en toi. J'enfoncerai en toi mon bâton, trop profondément et trop fort pour une si petite chair…

Je te remplirai tout entière ! Et tes jambes se déroberont et tes mains se mettront à trembler. Et tu aspireras l’air. Oh, tu auras très peur! Tu auras peur que je ne je mette en pièces ou que je te frappe à mort ! Mais je te saisirai fermement par les jambes, et je te tiendrai. Et tes jambes se couvriront de bleus. Tu t’écrouleras sur les genoux. Et de toutes tes forces, tu appuieras tes mains contre la terre. Et tu te balanceras d’un côté à l’autre. Et ton visage frappera le sol. Et tu t’arracheras de la terre. Je ne suis pas du tout disposé à l’indulgence. Je ne suivrai que mes propres désirs!

 

Rachel :

Tu as parlé de toi, étranger. Mais moi ? Qu'est-ce que je ferai, moi ?

 

Jacob :

Tu pousseras des cris perçants. Et gémiras.

Et tu crieras d’une voix qui te sera étrangère. Et tu imploreras ma pitié. Oh, tu auras très mal! Et à la fin je te jetterai! Toi, débordante de ma semence. Et je m'éloignerai , reprenant par ma route. Et toi, tu ramperas après moi ! Et tu t’agripperas à mes jambes ! Et les lécheras, et les embrasseras… Tu me supplieras : encore ! Encore ! … Pourquoi tardes-tu, petite lâche ? ! Très bien. Il en sera ainsi. Je vais t'aider. Mon jeu te plaît-il ?

 

Rachel : (Surprise, gaiement et à voix haute.)

Il me plaît ! (Elle rit et bondit de coté) Mais le jeu est fini ! Et c’est toi qui as perdu! Tu n’as pas su deviner ce que je ferai! Et tu essayes de me plier à tes désirs. Je t’avais prévenu. Aucun homme ne peut savoir ce que fera un autre. J'ai gagné ! Va vers l'agnelle noire, étranger!

 

Jacob s'assoit et s’adosse à la pierre et, la sa tête entre les mains, il se balance et gémit. Rachel joue de la flûte

 

Jacob : (à pleine voix)

Cruelle ! Perfide ! Hypocrite ! Menteuse ! Tu as connu beaucoup d'hommes ! Qu'est-ce que tu as fait de moi!?  Comment as-tu osé!?  Oh, comme la tête me tourne!  Quelle insupportable brûlure dans l’aine!  Comme mes entrailles se sont retournées!  Comme se rompent mes cuisses! Les bras se sont engourdis ! Mes jambes ne me portent plus!

 

Rachel :

Mais pourquoi moi ? L'agnelle noire, voilà ce qu'il te faut ! Je vais courir et je te l'amènerai, étranger ! (Elle rit) C'est tout ce qu’il te faut! Tu vas tout de suite te sentir bien! (Elle veut courir chercher l’agnelle.) 

 

 

Jacob : (la saisissant par le mollet)

Aie pitié de moi ! (Il rampe par terre après  elle) Je vais devenir fou ! Je vais mourir de désir ! Je veux posséder ta taille mince et fragile! Tes boucles noires!  Tes longues et fines petites jambes!.. Je n'ai jamais vu femme plus splendide que toi ! Et je n'ai jamais désiré une femme aussi fort que je te désire, toi! Tu es bonne, gaie, douce, soumise, perfide, rusée… je te veux tout entière!

 

Rachel :

Je connais ce jeu, étranger! De nombreuses fois, les bergers ont voulu y jouer avec moi ! Ils m’attrapaient de leurs mains poilues et impatientes. Ils se collaient contre moi avec leurs jambes courtes et tordues, poilues elles aussi! Et ils me pressaient contre leur corps. Ils étaient couverts de poils longs, épais, tout  comme la peau des moutons. Et ils bêlaient tout autour de moi, tout comme les moutons! Et je me suis toujours enfui !

 

Jacob :

Mais regarde donc, touche ! Comme mon corps est lisse ! Mon frère, Esaü, est  velu, comme tes bergers. Alors que moi, je suis lisse. Et dans mon pays, j’ai eu une multitude de femmes, et de concubines, d’innombrables belles filles. Et toutes me désiraient. Et elles se disputaient pour moi. Vraiment, je ressemble à un mouton?

 

Rachel :

Non, tu ne ressembles pas à un mouton. Tu es beau de ta personne. Et tu sais parler. Et tu es rusé et (insinuant) persuasif. Mais tu te comportes comme un mouton ! (Elle le repousse.) Et tu t'obstines à obtenir de moi une seule chose. Comme s'il n'y avait vraiment rien d'autre en moi !

 

Jacob :

Mais que peut-il y avoir donc d'autre en toi ? !

Et de toute façon, que peut-il y avoir dans la femme hormis la chair ? ! Et pourquoi  est-ce que je perds mon temps à mendier ce que je peux prendre par moi-même ? !  ( Brusquement il bondit et étreint Rachel. Rachel essaye de s'échapper)

 

Rachel :

Ne fais pas ça, étranger ! Je ne te désire pas !

 

Jacob : (il la retient solidement et rit)

Tu crois, que tes désirs m'importent ? Je ne suis jamais que les miens!

 

Rachel :

Je suis un être humain, moi aussi, étranger! Et je m'appartiens! Je ne suis pas à toi !

 

Jacob :

Tu es une femme ! (Il la jette et la colle au sol avec son corps.) Voilà, maintenant, nous allons terminer notre jeu.

 

Rachel : (en colère)

Je ne veux pas jouer avec toi ! Tu es un mouton !

 

Jacob :

Tu ne veux pas ? Ça n’en est que pire pour toi ! Je vais te dire ce qui va t’arriver.  Et ce que tu feras. Et cette fois, tu ne pourras nier, que j’aurai tout deviné. Tu ne me désires pas. Mais j'entrerai en toi ! J'entrerai comme le couteau long et tranchant ! Oh, comme tu t’agiteras ! Crieras ! Te tordras ! Et moi je te fendrai,  te lacérerai, te déchirerai ! Et la douleur outrepassera tes forces ! Et tu supplieras la mort de tout cœur, sans mentir ! Et moi je jouirai de toi aussi longtemps que  je le voudrai. Et, une fois rassasié, je te repousserai avec dégoût et je m'en irai par mon chemin, loin de toi. Et toi tu resteras ! Déchirée, tu te videras de ton sang, mélangé à ma semence. Et ton corps sera couvert de bleus, d’écorchures. Et c’est seulement alors, que dans ton corps piétiné,  gonflera, irrésistible, le désir. Et quand les bergers s'approcheront, tu ramperas vers eux comme l'agnelle noire. Et tu bêleras près d'eux ! Et tu te laisseras déchirer par chacun d’eux. Et il te sera  devenu indifférent qu'ils soient velus ou non. Et ton désir sera inextinguible ! Parce qu’en chacun d'eux, c’est moi que tu  chercheras. Et tu ne me trouveras pas ! Tu ne désireras que moi. Mais quiconque tu rencontreras, tu supplieras qu'il te possède ! Voyons si j’ai deviné cette fois-ci !

(Dans une saccade, il soulève Rachel de terre, le jette contre le figuier, la plaque, le dos contre le tronc, brutalement lève sa jambe, d’un geste brusque l’écarte et se colle à elle.)

 

 

De très, très loin mais comme de tous les cotés à la fois, se fait entendre le son des clochettes et le bêlement de nombreux moutons.

 

 

Rachel :

Les bergers te rattraperont. Ils te feront tout ce que tu veux me faire. Ensuite ils te lapideront à mort.

 

Jacob :

Mais, je n'ai pas l’intention de m'enfuir. Je continuerai à faire des bêtises en ta compagnie lorsqu’ils arriveront. Et qui te croira ? Je te jetterai dans leurs bras et je dirai : essayez-vous aussi ! Elle est lubrique et experte ! Et il y en aura pour tout le monde ! Oh, cela fait longtemps qu'ils te désirent ! Ils se jetteront sur toi et ils t’arracheront les uns aux autres ! Ils ne penseront plus à rien d’autre qu’à toi. Et chacun se pressera de se rassasier de toi. Et personne  n’ira me poursuivre. Personne ne te laissera à un autre.

 

Rachel :

Tu vas perdre une fois de plus. Ils te tueront. Et ils n'oseront pas toucher la fille de Laban !

 

Jacob : (subitement s'écarte d'elle)

De qui es-tu fille ?

 

Rachel :

Mon père est Laban ! Et ce sont ses troupeaux.

 

Jacob :

Et toi, sais-tu, qui je suis ?

 

Rachel :

Tu es un mouton !

 

Jacob :

J’allais chez Laban. Et cette nuit, j'ai reçu un signe. Et je ne t'ai pas reconnue. Pardonne-moi ! (Il se jette à genoux devant elle) Pardonne-moi ! Je viens seulement à l’instant de comprendre ce signe.

 

Rachel :

Tu es un menteur ! Vas-t-en d’ici !

 

Jacob :

Ecoute-moi, jusqu’au bout !

 

Rachel :

Je ne crois pas en tes paroles !

 

Jacob :

Ecoute-moi, ensuite tu jugeras !

 

Rachel :

Eloigne-toi de moi !

 

Jacob :

Parle de moi à ton père Laban ! Et qu’il me punisse ! Donne-moi aux bergers ! Et qu’ils me déchirent ! Mais seulement, écoute-moi !

 

Rachel :

Bien. Parle !

 

Jacob :

Je suis sorti de Versavie et je suis allé à Harron. Je suis arrivé en un lieu. Et je suis resté là-bas pour la nuit parce que le soleil s’était couché. J'ai fait un songe: là, un escalier se tient sur la terre. Son sommet touche le ciel. Et là, les anges de Dieu qui montent et descendent l'escalier. Et là, Dieu se tient dessus et dit : Ť  Je suis le Seigneur Dieu de ton père et du père de ton père, n'aie pas peur. La terre sur laquelle tu es couché, je te la donnerai, à toi et à ta descendance. Et ta descendance sera comme le sable de la terre. Et tu te répandras vers la mer, et vers l'Est, et vers le Nord, et vers le midi. Et toutes les tribus de la terre seront bénies dans toi, et dans ta semenceť. Et j’ai compris maintenant le signe. Ce lieu n’est rien d’autre que la maison de Dieu ! Ce sont les portes du ciel ! Ma mère, Rébecca, m'a envoyé chez son frère, Laban, afin que je prenne pour femme, sa fille et que je reste ici. Et je t’ai rencontré, toi, la première sur cette terre. Et je ne t'ai pas reconnue ! Pardonne-moi! Dis-moi ton nom !

 

Rachel :

Rachel. Et toi, dis-moi ton nom.

 

Jacob :

Jacob.

 

Rachel :

Jacob.

 

Jacob :

Rachel. Seras-tu ma femme ?

 

Rachel : 

Et pourquoi Rébecca t’a-t-elle envoyé chez son frère, mon père, Laban ?

 

Jacob :

Un jour, Rébecca me fit venir et me dit : Ť  J'ai entendu ton père dire à ton frère, Esaü : Ť Apporte-moi du gibier et prépare pour moi le repas, je mangerai et je te bénirai devant Dieu, et à la veille de ma mort. ť  Et voici ce que ma mère dit : Ť Et maintenant, mon fils, écoute ce que je t'ordonne: va dans le troupeau et prends-y, pour moi, deux jeunes boucs et je préparerai pour ton père le repas qu'il aime, et toi tu le porteras à ton père, et il mangera, pour te bénir avant sa mort. ť Et j'ai dit à Rébecca : Ť Esaü, mon frère est un homme velu, alors que moi je suis un homme lisse, et c'est possible que mon père vienne à me palper, et je serai à ses yeux un menteur, et je m’attirerais sa malédiction et non sa bénédiction. ť Ma mère m'a dit:  Ť Que ta malédiction retombe sur moi, fais seulement tout ce que j’ai dit.ť Je suis allé, j'ai pris et apporté à ma mère. Et ma mère a préparé le repas. Et Rébecca a pris l’habit de son fils aîné, Esaü, mon frère, qu'il lui a confié. Et elle m'en a vêtu, moi, son fils cadet Jacob. Quant à mes mains et à mon cou lisses, elle les a recouverts avec la peau des boucs. Je suis entré chez mon père et j’ai dit : Ť Mon père ! ť Lui, a dit : Ť Je suis là. Qui es-tu, mon fils? ť  Et moi, Jacob, j’ai dit à mon père : Ť Je suis Esaü , ton fils aîné, j'ai fait comme tu me l'as demandé, mange mon gibier pour que mon âme te bénisse. ť Et Isaac m'a dit : Ť Approche, je veux te toucher, mon fils. Es-tu bien Esaü, ou non ? ť Il a touché et a dit : Ť La voix, la voix est celle de Jacob, Les mains, les mains sont celles d'Esaü. Embrasse-moi mon fils. ť Et Isaac a senti l'odeur de mon habit, et il a dit : Ť Voilà l'odeur de mon fils, Esaü, qui est comme l'odeur du champ plein. ť  Et il a dit : Ť Est-ce toi Esaü? ť Je répondis : ŤC’est moi.ť Et mon père, Isaac, m'a béni et a dit : Ť Que Dieu te donne, de la rosée de la terre et de l’engrais de la terre, et le pain et le vin en abondance. Et les peuples te serviront et les tribus t’adoreront. Sois le seigneur de tes frères, et s’inclineront devant toi les fils de ta mère. Ceux qui te maudiront  seront maudits. Ceux qui te béniront, seront bénis. ť 

 

Rachel :

Et qu'en est-il d'Esaü ? Parle !

 

Jacob :

Esaü est arrivé plus tard. Et mon père lui a dit : Ť Jacob est venu avant toi. Et je l'ai béni. Et il sera béni ť. Esaü a poussé un hurlement fort et bien amer, et il a dit à son père : Ť Mon père ! Bénis-moi aussi ! ť Mais mon père lui a dit : Ť Ton frère est venu avec sa ruse et a pris ta bénédiction. Que puis-je donc faire pour toi, mon fils ? ť Et Esaü s’est pris de haine pour moi et il a dit : Ť Les jours où nous pleurerons mon père approchent. Et je tuerai Jacob, mon frère. ť Et mon père et ma mère me firent appeler. Et ils ont dit : Ť Fuis en Mésopotamie, chez le frère de ta mère, Laban, et prend pour femme une de ses filles. Dieu, Tout-puissant te bénira et te multipliera, et naîtra une multitude de peuples de toi. Et tu hériteras de la terre de ton errance. Et la terre de ton errance sera à toi. ť Je suis parti pour la Mésopotamie, chez Laban. Et me voilà devant toi. Que diras-tu ?

 

Rachel :

Pauvre Esaü.

 

Jacob :

Tu verses des larmes sur Esaü ? Sur une personne, dont tu ne savais rien jusque-là? Que tu n’as jamais vue ? Et que tu ne verras jamais ? Pourquoi Rachel ? ! Pourquoi pleures-tu sur lui ? Qu'est-il pour toi ?

 

Rachel :

Tu as pris sa bénédiction par le mensonge. Et je te dis : ce n'est pas bien.

 

Jacob :

Pour Esaü c'est mal. Mais pour moi, Jacob, c'est bien ! Je serai grand sur cette terre. Et une multitude de peuples naîtra de moi, et de toi, ma femme. Et voilà, moi,  Jacob, je me tiens devant toi et je dis : sois ma femme. Pourquoi te préoccupe d’Esaü ? Pourquoi le pleurer ?

 

Rachel :

Je pleure sur toi aussi, Jacob.

 

 

 

Jacob :

Dis-moi pourquoi pleurer sur moi ? Je porte la bénédiction de mon père, Isaac, et de notre seigneur Dieu ! Et tu dois te réjouir et non pleurer. Sois ma femme !

 

Rachel :

Tu t'es emparé par le mensonge du destin de ton frère, Esaü. Mais où est désormais, ton destin, Jacob ? Ne l’as-tu pas perdu ?

 

Jacob :

Je ne te comprends pas, Rachel. Sombre est pour moi le sens de tes paroles. J'ai suivi mon désir. Et tout est bien, à présent. Et je t'ai rencontrée. Et je veux que tu sois mon unique femme, Rachel ! Réponds-moi !

 

Rachel :

Mon père Laban a encore une fille, Léa, ma sœur aînée. Et comment peux-tu savoir laquelle de nous tu dois prendre pour femme ?

 

Jacob :

 Je t'ai rencontrée et tu es entrée dans mon cœur. Et c’est, à la fois, doux et douloureux, là, ici dans ma poitrine, à cause de toi. Et je n’aurai plus jamais besoin d'une autre femme. Il est possible de respirer l’air, de manger du pain et de boire de l'eau. Et mourir, l’heure venue, satisfait et serein. Tu es l’arôme de l'air,  tu es le sel du pain, tu es la fraîcheur de l'eau. Et qui a respiré cet arôme, qui a goûté ce sel, qui a savouré cette fraîcheur, celui-là, avant de mourir, soupirera après l'air porteur d’arôme, le pain au sel, l'eau fraîche. Je n'ose te toucher, j'embrasse la poussière à tes pieds (il s'allonge à ses pieds) je t'aime et je t'aimerai toujours. Tu es la seule pour moi à présent et pour toujours tu resteras la seule.

 

Rachel :

Va chez mon père, Laban. Tu allais chez lui, rends-toi chez lui. Et s’il te donne sa bénédiction, je serai ta femme.

 

Jacob : 

Mais toi, veux-tu être ma femme ?

 

Rachel :

J'obéis toujours à la volonté de mon père.

 

Jacob :

Qu'est-ce que tu m’as fait, Rachel ? Je t'aime plus que moi-même. Je t'aime , je te désire mais je renoncerai à toi si tu ne veux pas de moi. Dis-moi, Rachel, ne me tourmente pas.

 

 

 

Rachel :

J'ai peur de toi, Jacob. Peut-être as-tu inventé un nouveau jeu ? J'ai peur de perdre à ce jeu.

 

Jacob :

Dis-moi – non. Et je partirai d'ici pour toujours . Dis-moi – oui ! Et je serai fidèle à la bénédiction de mon père et de mon Dieu. Réponds, Rachel. Je suis presque mort, à genoux devant toi, dans la poussière, et j’attends ta réponse.

 

Rachel :

Tu entends ? Les troupeaux sont tout proches ! Voilà, ils s'approchent ! Et  dans un instant les bergers seront là.

 

 Jacob :

Qu'ai-je à faire des troupeaux ? Qu'ai-je à faire des bergers ? Dis-moi, Rachel! Je ne me relèverai pas tant que tu ne m'auras pas répondu?

 

Rachel :

Je t'aime, étranger !

 

Jacob :

Et qui est celui qui traverse le désert en s'appuyant sur sa bien-aimée ? Sous un figuier tu m'as réveillé avec ta flûte. Pose-moi comme un sceau sur ton cœur. Comme un anneau sur ta main. Car fort, comme la mort, est l'amour. Que m’est-il arrivé quand je t'ai rencontrée ? Comme mon âme s’est sentie bien ! Tu es ma bien aimée. Tu es mon unique. Et mon désir n’est tourné que vers toi. Et je ne te ferai jamais de mal. Et je ne prendrai d’autre femme  que toi. Dieu est témoin entre toi et moi.

 

Rachel  titube et tombe. Jacob la soulève.

 

Que t’arrive-t-il ma bien-aimée ?

 

Rachel :

La tête me tourne. Ma gorge s’est asséchée. Comme le soleil brûle ! De l'eau… de l'eau…

 

 

Jacob :

Je te donnerai de l'eau.  (Il pose Rachel par terre, s'approche de la pierre, fait des efforts terribles et pousse la pierre, il remplit la cruche au puits et  s'approche de Rachel. Il soulève sa tête et approche la cruche de ses lèvres.)

Bois, Rachel, bois, mon agnelle!

 

noir

Deuxième tableau

 

Sept ans se sont écoulés. Une tente : deux lits, un foyer.

 

Rachel est parée avec splendeur, elle enduit ses jambes d'huiles aromatiques. Jacob se faufile doucement dans la tente. Rachel pousse un petit cri.

 

Rachel :

Qui est là?

 

Jacob :

Rachel, mon agnelle! Debout, ma bien-aimé, debout ma beauté, sors! Le temps est venu.

 

Rachel :

Jacob! Comment pourrais-je sortir? La myrrhe coule de mes bras, de mes doigts la myrrhe coule sur toi… Impatient!

 

Jacob :

Tu me fais des reproches? Moi, je suis impatient?! Voilà sept ans que je patiente. J'ai travaillé chez Laban, pour toi, pour te prendre pour femme. Et Laban m'a dit ce matin : Ť On va finir la moisson et tu vas prendre Rachel pour femme. Je convierai tous les habitants du lieu et je ferai un festin.ť. Et je lui ai dit : Ť Non, Laban. Donne-moi Rachel aujourd'hui ! Parce que le temps est venu que j’entre chez elle. ť Et Laban a dit : Ť Bien, prends Rachel aujourd'hui ť.

 

Rachel :

Impatient!

 

Jacob :

Sept ans, que je n'ai pas eu de femme. Et je n’ai pas approché l'agnelle noire. Auparavant, j’avais quarante épouses et quarante concubines, et des filles sans nombre. Et en une nuit, je pouvais posséder des femmes par dizaine. Et maintenant ma bien-aimée m’appartient. Et moi, je n’appartiens qu’à elle. Tu es parfaite, ma bien-aimée, et sur toi il n'y a pas une tâche. Pourquoi tardes-tu ? Pourquoi me fais-tu languir? Je me suis faufilé jusque chez toi pour demander pourquoi tu ne viens pas chez moi ? Ne m’aurais-tu pas oublié ?

 

Rachel :

Attends, un tout petit instant ! C'est pour toi que j’enduis de baume mes bras et mes jambes.

 

Jacob :

Le baume n’est pas nécessaire ! Ton odeur surpasse tous les arômes! Je vais m'emparer de ton odeur. Et je répandrai ton odeur. Et toi la mienne.

 

Rachel :

Regarde, comme je suis parée!

 

Jacob :

Je t'aime dans ta vieille robe, celle de bergère qui garde les moutons !

 

Rachel :

Regarde-moi bien attentivement maintenant ! Mais dans ta tente, tu éteindras le feu !

 

Jacob :

Et pourquoi m’ordonnes-tu d'éteindre le feu près de notre lit ?

Je veux pouvoir regarder ma bien aimée ! Ma bien-aimée est trop avare ! Durant sept ans elle s'est montrée par petits bouts. Tantôt elle dénudait son bras hâlé jusqu'à l'épaule ! Tantôt, Elle découvrait à peine son genou rond tout écorché ! Tantôt elle déposait dans ma paume son petit sein comme une grappe de raisin! Mon avare bien aimée! Je veux te voir aujourd'hui tout entière!

 

Rachel :

Je te le demande, Jacob, éteins aujourd'hui le feu près de notre couche.

 

Jacob :

Qu’il en soit comme tu le demande, mon agnelle. Nous avons devant nous des nuits sans nombre. Et j’aurais tout ce temps de te regarder attentivement. Et jamais, jamais, je ne t’aurais assez admiré. (Il passe les doigts sur le visage de Rachel, elle cherche à attraper ses doigts avec les lèvres) Et moi, je te demande de ne pas prendre ta flûte avec toi ! J’en suis très jaloux. Je donnerai une autre flûte à tes lèvres. Et cette nuit même, tu joueras des mélodies qui ne sortiraient jamais de ta flûte. Et tu diras : Ť Jacob, ta flûte est plus douce que la mienne! ť

 

Rachel :

Va chez toi et attends-moi, impatient! Léa va venir et elle se moquera de nous.

 

Jacob :

Qu'ai-je à faire de Léa ? Et qu’a-t-elle à faire de moi ? Allons-y ensemble, maintenant, ma bien-aimée.

 

Rachel :

Et tout le monde dira : Ť Voilà Jacob qui emmène Rachel dans son lit ! ť

 

Jacob : 

Qu’as-tu à faire de tout ce monde, ma bien-aimée ?

 

 

Rachel :

J’attendrai l’obscurité. Et je me frayerai un chemin jusqu’à toi sans que personne ne me voie. Va, Jacob.

 

Jacob :

Oh, tu es parfaite, ma bien aimée, tu es parfaite ! Je succombe d'amour. Permets-moi d'emporter sur ma bouche un baiser de toi ! Ou bien je ne saurais patienter davantage, et je mourrai.

 

Rachel :

Un seul ! Nous avons des baisers sans nombre devant nous.

 

(Jacob embrasse Rachel)

Va, impatient!

 

Jacob :

Oh, pourquoi me repousses-tu, ma bien aimés ? Pourquoi es-tu si avare de baisers envers moi ? Je ne me rassasierai jamais de toi ! Comment te quitter ? Comment puis-je te laisser? Allons-y ensemble.

 

Rachel : 

Va tout seul. Et moi, je te suis. Qu’il fasse un peu plus sombre, encore !

 

Jacob :

Tu as capturé mon cœur, ma sœur, mon agnelle ! Tu as capturé mon cœur d’un seul regard de tes yeux ! Par ton tempérament ! Tu as capturé mon cœur sous ce figuier, ta flûte aux lèvres. Oh, comme sont aimables tes caresses, ma bien aimée! Oh, comme tes caresses sont de loin meilleures que l'eau fraîche ! Et ton odeur meilleure que tous les arômes. Laisse-moi toucher tes mains de mes lèvres ! Et j'emporterai leur douceur. Et ça me sera plus facile d'attendre.

 

Rachel :

Impatient! Pour toi, voici, mes mains !

 

Jacob embrasse les mains de Rachel et, avec langueur il les caresse de son visage.

 

Va donc !

 

Jacob : 

Comment puis-je te quitter ? Ne me chasse pas ! Le jardin est fermé, ma sœur, la source emprisonnée, la source scellée. Défaits ta ceinture ! Laisse ma tête se glisser sous ta chemise ! Laisse ma bouche toucher tes tétins ! Ces deux raisins verts. Et qu'ils mûrissent entre mes lèvres. Tu m'appartiens et c’est vers toi que tout mon désir est tourné!

 

Rachel : (ouvre sa ceinture)

Impatient! Léa va entrer et elle se moquera de moi, et dira : quelle honte !

 

Jacob passe sa tête sous la chemise de Rachel.

 

C'est assez Jacob ! Sinon tu me diras : Ť Je t’ai déjà connu ! Et que vais-je faire avec toi toute la nuit ?  Qu'est-ce que je vais faire avec toi toute la nuit? (Elle repousse sa tête de sous sa chemise et attache sa ceinture.) Va, Jacob ! J’arrive dans un instant.

 

Jacob :  

Mon agnelle! Je n'ai pas encore embrassé tes petits pieds. Comment puis-je te quitter sans les embrasser ?

 

Rachel : (rit)

Impatient ! (Elle soulève sa jupe) Embrasse vite et va dans ta tente.

 

Jacob : (prend les plantes de pieds de Rachel et les embrasse et les caresse avec son visage, et relève sa jupe de plus en plus haut)

Est-ce que tu m'aimes Rachel?

 

Rachel :

Tu le sais bien - je t'aime.

 

Jacob :

Et pourquoi me donnes-tu congé? Pourquoi tardes-tu?  Non, tu ne m'aimes pas et tu ne me désires pas (il se détourne de Rachel)

 

Rachel :

Que dois-je faire pour que tu croies en mon amour ?

 

Jacob :

Fais ce que je te demanderai. Promets-moi?

 

Rachel :

Je ferai tout ce que tu demanderas. Parle.

 

Jacob :

Ne bouges plus ! Et ne tiens pas mes mains ! Et ne serre pas ainsi tes jambes,  mais écarte-les.

 

Rachel :

J'ai peur.

 

 

Jacob :

Ma bien-aimée a peur de moi ! Non, ma bien-aimée est une menteuse ! Elle ne m'aime pas !

 

Rachel :

Très bien, je vais le faire. (Elle cache son visage dans ses mains.)

 

Jacob :  

Ma bien aimée, mon agnelle! (Il met la tête entre les jambes de Rachel.) Ton ventre est une colline de blés, entouré de fleurs de lis.

 

Rachel se cambre et gémit. Et ses mains caressent la tête de Jacob. Et ses bras tombent sans force et elle se pince les lèvres pour retenir ses cris. Et elle saisit sa flûte. Elle la caresse avec les lèvres et sort des sons désaccordés. Et frémit de tout son corps. Et elle pousse un cri.

 

Oh, comme il est doux d'être assis à l'ombre de toi ! Et tes fruits, dans ma gorge,  sont si doux ! Pour la dernière fois de ces sept dernières années ma semence s’est répandue en vain sur la terre. Je ne remplirai plus que ton ventre de ma semence.

 

Rachel : (rejetant sa flûte)

 Ma flûte restera ici, sur mon lit de vierge. Pour la dernière fois, je la caressais avec ma bouche. Ne sois pas jaloux d'elle, mon bien-aimé.  Désormais je ne prendrai plus dans ma bouche que ta flûte. Je viens avec toi, Jacob!

 

Jacob :

Me pardonneras-tu, mon agnelle?

 

Rachel :

Que dois-je te pardonner, mon bien-aimé?

Si tu es fautif devant moi, je te pardonne. Et je ne veux pas savoir quelle est ta faute?

 

Jacob :

Me pardonneras-tu notre première nuit?

 

Rachel :

Dis-moi, pourquoi tu demandes pardon?

 

Jacob :

Tu es toute parfaite et pure, ma bien-aimée. Mais à peine tu entreras dans ma tente que je me jetterai sur toi comme sur la dernière pécheresse. Car,  sept ans durant, j'ai brûlé de désir. Mais je ne me suis couché à côté d’aucune femme. Et ce n’est qu’à l'aube que tu deviendras ce que tu es pour moi, ma splendide bien-aimée. Pardonnes moi, mon agnelle, si je suis brutal et impatient.

 

Rachel :

Je n'ai rien à te pardonner, mon bien-aimé ! Moi-même je meurs de désir. Sept ans, je t'ai fui parce que je ne désirais te dire qu’une chose :  prends-moi, ici même, sur la terre, sous le ciel, et fais de moi ce que tu voudras. Je passerai le seuil de ta tente et j'arracherai tous mes vêtements. Et je n’arriverai pas jusqu’à ta couche. Et il te faudra me prendre sur le seuil.

 

La voix de Léa se fait entendre derrière la tente : Rachel ! Rachel !

 

C’est Léa. Cours ! Je viens chez toi de suite.

 

Jacob :

Je t’attends, mon agnelle ! Je meurs de désir ! (Se glisse hors de la tente.)

 

Léa : (entre)

Qui se glissait comme un voleur hors de notre tente?

 

Rachel :

Je n'ai vu personne.

 

Léa :

Un homme, un étranger était chez toi. Je le dirai à notre père, Laban!

 

Rachel :

Il ne faut pas, Léa, le dire à notre père. C’était mon bien aimé, Jacob.

 

Léa : 

Il est entré dans la tente et il t'a prise ici?

 

Rachel :

Il est entré dans la tente et m'a pressée de le rejoindre chez lui. Et de devenir sa femme. Y a-t-il encore  beaucoup de monde près de notre tente, Léa?

 

Léa :

Beaucoup de monde s'est réuni pour voir comment tu iras chez Jacob.

 

Rachel :

Il fait noir. Et les gens ne me remarqueront pas.

 

Léa :

Ils ont des flambeaux pour que l'obscurité ne les empêché pas de te voir. Attends encore un peu.  Ils vont bien se disperser dans un moment.

 

 

 

Rachel :

Jacob a attendu sept ans. Et je ne veux pas le faire attendre davantage. Je vais me rendre chez lui maintenant, Léa. Donne-moi aussi ta bénédiction, ma sœur aînée, Léa, à la place de ma mère qui est morte.

 

Léa :

Je te donnerai ma bénédiction. Seulement patiente un peu. Enlève ce bandeau en brocart d,or de ta tête et donne-le-moi. (Rachel lui donne le bandeau (turban).) 

 

Enlève cette ceinture moirée, ouvrée, bleue, pourpre et rouge sombre,  et donne-la-moi. (Rachel enlève la ceinture et la donne à Léa.)

 

Enlève cette toilette en brocart et donne-la-moi. (Rachel enlève sa toilette et la donne à Léa.)  

 

Enlève la robe de dessous en lin et donne-la-moi. (Rachel enlève la robe de dessous et la donne à Léa)

 

Rachel :

Et voilà, je me tiens nue devant toi, Léa. Dis, pourquoi tu as pris mes vêtements?

 

Léa : (se déshabille)

Patiente un peu. Et je te dirai.

 

Rachel :

Et  nous voilà, toutes deux  nues, l'une en face de l'autre, Léa. Pourquoi ? Dis.

 

Léa jette son habit dans le foyer.

 

Pourquoi as-tu jeté ton habit dans le feu, Léa?

 

Léa :

Est-ce l’huile dont tu as enduit ton corps?

 

Rachel :

Oui, ce sont les restes que j’ai pas eu le temps d’appliquer sur mon corps.

 

Léa verse toute l'huile sur elle.

 

Pourquoi as-tu versé l'huile sur toi, Léa?

 

Léa : 

Comme tu es impatiente! Attends, je te dirai tout quand l'heure viendra.

 

Elle enfile les vêtements de Rachel.

 

 

Rachel :

Pourquoi mets-tu ma toilette de mariée, ma sœur?

 

Léa :

Je vais te dire. Notre père, Laban a dit : Ť Chez nous, les choses ne se font pas ainsi, on ne marie pas la fille cadette avante aînée. ť Et moi, fille aînée de Laban, Léa, j’entrerai aujourd'hui chez Jacob à ta place. Et à ta place je m’allongerai sur son lit. Et il me prendra comme sa femme. Et Jacob sera mon mari. Et toi, tu dois obéir à Laban, ton père, comme moi maintenant je lui obéis.

 

Rachel :

Tu plaisantes, Léa, ma sœur?

 

Léa : 

Va chez Laban et demande lui !

Rachel :

Rends-moi mon habit que par le mensonge tu m'as enlevé. Je ne peux tout de même pas passer nue devant les gens.

 

Léa :

Je ne te donnerai pas ton habit. Dans cet habit, j'entrerai chez Jacob

 

Rachel : (prend la couverture du lit)

Alors, je m'enroulerai dans la couverture et j’irai ainsi chez notre père, Laban. (Elle s'enroule dans les couvertures et s’éloigne.)

 

Léa : (autoritaire)

Arrête, Rachel ! Seules les pécheresses vont la nuit enroulées dans une couverture. Tu passeras devant les gens telle une pécheresse. Et les gens ne te laisseront pas passer. Et ils ne te reconnaîtront pas. Et ils se moqueront de toi. Tu dois obéir à la volonté de notre père, Laban.

 

Rachel :

Mais qu'importe la volonté de notre père pour Jacob? !

Il te chassera de sa tente, te déshonorant et te maudissant ! Et Jacob dira  dans sa colère à Laban : Ť Que me fais-tu ? N’est-ce pas pour Rachel que j’ai travaillé chez toi ? Pourquoi me trompes-tu ? Sept ans que je suis chez toi ! Tes moutons et tes chèvres n'ont jamais fait de fausse couche ! Je n’ai jamais mangé les moutons de ton troupeau. Je ne t’en ai jamais rapporté aucun déchiqueté par une bête sauvage. C'était ma propre perte. Tu m’as toujours fait payer si quelque chose disparaissait, de jour comme de nuit.  J'ai souffert de la chaleur,   le jour, des gelées, la nuit. Et le sommeil a fui mes paupières. Telles furent mes  sept années passées dans ta maison. Je t’ai servi pour avoir ta fille Rachel, et toi, tu veux changer ma récompense ! ť

 

Léa :

Je n'ai pas le temps de t'écouter, Rachel ! Sept ans Jacob s'est langui sans femme. Je ne peux plus le forcer à attendre. Bénis-moi, ma sœur cadette, Rachel. Et je vais aller chez mon mari Jacob. C'est la volonté de notre père, Laban. Et toi, et moi nous devons lui obéir.

 

Rachel :

Pourquoi m’obliges-tu à avoir honte de ma sœur, devant mon mari, Jacob. Pourquoi jettes-tu l'opprobre sur ce jour, où pour la première fois je dois être prise par mon mari, Jacob ? Pourquoi veux-tu, que mon mari, Jacob, te traite de menteuse et te chasse déshonorée ?

 

Léa :

Des nuits durant, je me suis faufilée jusqu’à Jacob, dans les champs. Et je disais : Ť Couche avec moi, sois avec moi! ť Mais lui ne voulait pas m'entendre. Il n'a voulu ni coucher avec moi, ni être avec moi. Il me disait : Ť Comment puis-je commettre un aussi grand mal et pécher devant Dieu ? Dieu est témoin entre moi et Rachel ť. Et je disais : Ť Tu seras pur du péché. Je prendrai le péché sur moi et je le porterai ť. Mais lui disait: Ť Je ne désire personne. Seulement Rachel. Parce qu'elle sera ma femme. Et tous mes désirs sont tournés vers elle ť. Et je l’attrapais par son habit et je disais : Ť  Couche toi avec moi. Je succombe de désir ť. Mais il m’abandonnait son habit entre les mains. Et me fuyait. Et voilà, aujourd'hui, j'entrerai chez lui. Et il sera devant moi sans défense. Et il ne voudra pas me fuir. Il ne trouvera pas en lui les forces pour me chasser. Il succombe de désir. Et peut à présent échanger sa bien-aimée contre une pécheresse. Et il recevra n'importe quelle femme dans son lit.

 

Rachel :

Il demandera quand tu entreras : Ť  Est-ce toi, ma bien aimée, Rachel ? ť

 

Léa :

Et je répondrai : Ť  C'est moi, Rachel ! Prends-moi vite, sur ton seuil même. Je succombe de désir ť.

 

Rachel :

Mais il te prendra dans ses bras…

 

Léa : (Poursuit)

…et il reconnaîtra ton habit.

 

Rachel :

Il t'embrassera et…

 

 

Léa : (Poursuit)  

…il sentira l’arôme de tes huiles.

 

Rachel :

Et il te dira : Ť  Es-tu Rachel ou non? ť

 

Léa :

Je répondrai : Ť Oui,  c'est moi, Rachel ť.

 

Rachel :  

Et il te dira : Ť  L'habit et le parfum sont ceux de Rachel mais la voix , la voix est  celle de Léa. ť

 

Léa :

Sept ans, qu’il n'a pas connu de femme ! Il me sautera dessus, comme un animal sauvage. Toi, viens à l'aube, près de la tente de mon mari, Jacob, et prends ta flûte. Et radoucis notre réveil par la musique. Et au matin, toutes les femmes  m’appelleront bienheureuse !

 

Rachel :

Léa, Léa, tu seras châtiée pour avoir péché contre ta sœur.

 

Léa :

Dieu entendra que je suis la femme de Jacob, qu’il a bénie, et il ne me jugera pas, et il me bénira comme la femme de Jacob. Et je donnerai un fils à Jacob. Et par moi, se répandra la race de Jacob. Et Jacob s’attachera à moi d’amour. Et il t'oubliera.

 

Léa quitte la tente. Rachel s’enveloppe dans la couverture, reste seule dans la tente.

 

Noir

 

 

Acte deux.

 

Troisième tableau

 

Une nuit a passé

Un champ brûlé par le soleil.

Le figuier n'est plus vert, comme dans le premier tableau, mais sec.

Une pierre bouche le puits.

 

Rachel, enroulée dans la couverture, est assise sur l'abreuvoir du bétail, et joue de la flûte.

 

 Jacob s'approche.

 

 Rachel ne le remarque pas.

 

Jacob la fixe longtemps.

 

Jacob : (parle très bas)

Rachel ! Mon agnelle !

 

Rachel : (baisse la flûte, se lève mais ne s'approche pas de Jacob)

Mon bien aimé a frappé à ma porte ! J'ai ouvert à mon bien-aimé.  Mais mon bien aimé s'est retourné et s’en est allé. Mon âme  m’a quitté. Je l’ai cherché et je ne l’ai pas trouvé. Je l'ai appelé et il ne m’a pas répondu. Sur ma couche, la nuit, j'ai cherché celui qu’aime mon âme. Je l'ai cherché et je ne l’ai pas trouvé. Je me suis levée et je suis allée par les champs et les pâturages. Où va-t-il, galopant à travers les champs, sautant les collines ? J'ai cherché toute la nuit celui qu’aime mon âme. Je l'ai cherché et je ne l'ai pas trouvé. Les bergers m’ont rencontré, qui surveillent les troupeaux. Avez-vous vu celui qu’aime mon âme ? Et je me suis éloignée et je n’ai pas trouvé celui qu’aime mon âme. Et je ne me suis pas accroché à lui et je ne l’ai pas emmené dans ma tente. Pourquoi l'ai-je laissé partir?

 

Jacob :

Rachel, mon agnelle. Tu as maigri et pâli pendant la nuit. Et tes jambes sont broyées. Et les bras sont blessés. Et les lèvres enflammées. Et les yeux gonflés par les larmes.

 

Rachel :

L'amour est fort comme la mort. Féroce comme l'enfer, la jalousie. Ses flèches sont enflammées. C’est un puissant bûcher. Dis-moi, tu m'as échangé contre Léa, ma sœur ?

 

Jacob :

Tu es plus splendide que quiconque, ma bien aimée !

 

Rachel :

Dis, tu m’appartiens et moi, je t’appartiens ?

 

Jacob : 

Tu es splendide, ma bien-aimée, tu es splendide !

 

Rachel :

Dis, je t’appartiens et ton désir n’est tourné que vers moi ?

 

Jacob :

Tu es splendide, toute entière, ma bien-aimée !

 

 

Rachel :

Dis, c'est toi qui as fait entrer Léa dans ta tente ?

 

 

Jacob :

Non! Je n'ai pas fait entrer Léa dans ma tente. C’est elle qui est entrée !

 

Rachel :

Dis, c'est toi qui as fait Léa se coucher sur ton lit ?

 

Jacob : 

Non ! Ce n'est pas moi qui ai fait coucher Léa sur mon lit ! C’est elle qui s'est allongée .

 

Rachel :

Tu as pris Léa ?

 

Jacob :

Léa est venue dans ton habit et elle sentait ton parfum.

 

Rachel :

Dis, tu as pris Léa, ma sœur?

 

Jacob :

Avant de comprendre que c'était Léa, et non Rachel, je l'ai prise.

 

Rachel pousse un grand cri de désespoir.

 

Je me suis couchée avec elle, j'ai été avec elle, mais je pensais que je possédais ma bien aimée, mon agnelle, ma Rachel.

 

Rachel :

N’avais-tu pas juré que tu ne me ferais pas de mal. Et ne prendrais aucune autre femme que moi? Et Dieu n’était-il pas témoin entre toi et moi ?

 

Jacob :

Léa est venue par le mensonge et a sali ma couche ! J'ai dit à Léa : on va se coucher chacun de son côté. Moi - la tête à l'Ouest, toi - la tête à l'Est. Et nous nous sommes couchés. Et je vais chez votre père Laban, dire : Pour moi, Léa n'est pas ma femme. Seule Rachel sera ma femme. Je n'ai pas besoin d’une autre femme. J'embrasse la poussière à tes pieds. Je n'ose m'approcher de toi. Je ne suis pas pur en face de toi. Mais Dieu enlèvera mon opprobre. Et je te ferai entrer dans ma tente. Et je t'aimerais plus que Léa.

 

 

Rachel : (tout bas)

Tu as pris Léa. Tu as aimé Léa. J'envie ma sœur. (Très fort). Je maudis ma sœur ! Je meurs !

 

Jacob : 

Suis-je donc coupable de ce que Léa soit venue avant toi, dans ma tente ? Suis-je coupable de ce que Léa portât ton habit ? Suis-je donc coupable de ce que tu m’aies demandé d'éteindre le feu près de mon lit ? Et où étais-tu quand j’ai pris  Léa pour Rachel ? Quand je l’ai possédée ? Et mon âme souffre à présent ! Et mon corps est impur ! Sept ans, je t'ai désiré ! Et je ne savais pas que ce n’était pas toi mais Léa qui était entrée dans ma tente ! Dis-moi où se trouve ma faute ? En quoi suis-je coupable devant toi ? Et que me reproches-tu ?

 

Rachel :

Aimes-tu Léa, maintenant, Jacob ?

 

Jacob : 

Tu es ma seule bien-aimée (Tu es mon seul amour) ! Des femmes comme Léa, j'en ai eu un nombre incalculable ! Je l'ai déjà oubliée !

 

Rachel :

Désires-tu Léa, maintenant ?

 

Jacob :

Je ne désire que toi, ma pauvre agnelle !

 

Rachel : 

Et plus jamais tu ne toucheras Léa ?

 

Jacob :

Jamais ! Je maudis Léa !

 

Rachel : 

Et tout ça tu le diras à notre père, Laban ?

 

Jacob : 

Je dirai à Laban : Ť Sept ans j'ai travaillé pour Rachel et toi, tu m’as trompé, tu as changé ma récompense ! Reprends ta fille aînée et donne-moi ma Rachel ! ť

 

Rachel :

Et tu te battras jusqu'au bout pour moi, tu ne reculeras pas?

 

 

 

 

Jacob : 

Est-ce que je peux renoncer à ma bien-aimée? Est-ce que je peux (lui préférer)désirer une autre femme ? Pardonne-moi, Rachel ! Aime-moi, Rachel !  Je vais chez ton père. (Il va pour aller.)

 

Rachel :

Jacob !

 

Jacob : (fait un pas vers elle)

Quoi, mon agnelle ?

 

Rachel :

Et tu pars sans m'embrasser ? !  Tu es avare d'un baiser pour moi ?

(elle s'approche de Jacob)

 

Jacob :

Pardonne-moi, mon agnelle ! (très léger baiser, il touche à peine ses lèvres)

 

Rachel :

Comme tes lèvres sont froides, Jacob ! Je ne les ai pas reconnues.

 

Jacob :

Je me dépêche d'aller chez ton père, Laban. (Il veut partir.)

 

Rachel :

Jacob ! (elle fait un pas derrière lui)

 

Jacob : (s'arrêtant)

Qu'y a-t-il encore, mon agnelle ?

 

Rachel :

Tu pars sans embrasser mes mains ?

(Jacob embrasse les mains) Oh, comme tu es pressé aujourd'hui, Jacob !

 

Jacob :

Je me presse d’arriver chez ton père, Laban ! (De nouveau il veut partir.)

 

Rachel : (elle le rattrape, tombe par terre, lui attrape les jambes )

Voilà j'ouvre ma couverture ! Touche de tes lèvres le bout de mes seins verts,  comme le raisin.

 

Jacob embrasse ses seins, se mettant sur les genoux. Il se lève et relève Rachel de terre.

 

Non, ils n’ont pas eu le temps de mûrir entre tes lèvres ! Non, tu ne me désires plus. Tu ne m'aimes pas !

 

Jacob :

Que dois-je faire pour que tu croies que je t'aime et que je te désire encore plus fort qu'auparavant ?

 

Rachel :

Alors, fais ce que je te demanderai.

 

Jacob :

Parle ! Et je ferai tout pour toi.

 

Rachel :

Mon ventre est un colline de blé, entourée de lis. Et ça t’était doux d'être assis dans mon ombre. Et mes fruits étaient doux à ta gorge. Je succombe de jalousie. Je succombe d'amour. Je succombe de désir. Je m'allongerai ici dans la poussière devant toi. Et toi, allonge-toi avec moi. Et sois avec moi. Et répands ta semence dans mon ventre.

 

Jacob : 

Oh, Rachel, mon agnelle !

 

Rachel déroule sa couverture et se tient nue debout devant Jacob. Elle jette la couverture par terre et s'allonge dessus.

Jacob lentement se baisse vers Rachel.

 Léa s'approche discrètement et s'arrête au-dessus d'eux.

 

Léa :

Est-il possible que tu veuilles posséder mon mari, Rachel?

 

 Jacob se retourne vers Léa et lentement, hésitant, il se lève. Rachel sursaute et s’enroule dans la couverture.

 

Jacob :

Va t'en Léa ! Pour moi, tu n'es pas ma femme. Tu m'as trompé et tu es venue dans mon lit ! Et je vais chez votre père, Laban. Et je le lui dirai que tu m'as trompé !

 

Léa :

Je ne t’ai pas trompé, Jacob ! Je suis entrée dans ta tente et je n'ai pas changé ma voix. Rachel a les seins, comme deux raisins verts, et moi, comme deux tours. Rachel est petite et fine, alors que moi, je suis grande et épanouie. Comment as-tu me prendre pour Rachel?  Tu m'as dit : Ť L'habit et le parfum sont ceux de Rachel mais la voix, la voix est celle de Léa ť. Pourquoi n'as-tu pas allumé le feu pour regarder qui était sur ton lit ? Et tu m’as possédé. Et tu étais insatiable. Et je suis pleine de ta semence. Et Dieu m'entendra et m'enverra un fils.

 

 

Jacob :

Tu es menteuse, Léa ! Ne t’ai-je donc pas dit : Ť Couchons-nous la tête chacun de son côté ť?

 

Léa : 

Tes mots sont vrais, Jacob. Nous sommes couchés, la tête chacun de son côté. Et tu touchais mes plantes de pieds avec les tiennes. Et tu t’approchais de moi lentement. Et mes plantes de pieds se sont retrouvées près de ton aine. Et je me suis mise à caresser ton aine avec la plante de mes pieds. Et tu as répandu ta semence sur mes plantes. Et tu te languissais. Et je me languissais. Et tu t’es rapproché encore de moi. Et mes genoux se retrouvèrent près de ton aine. Et j'ai caressé ton aine avec les genoux. Et toi, tu te cambrais et tu gémissais et léchais mes plantes de pieds. Et tu as répandu ta semence sur mes genoux. Et après tu t'es jeté sur moi ! Mais je me suis retournée agilement sur le ventre. Et tu as écarté mes fesses ! Oh, comme j'ai crié de douleur ! Oh, comme j'ai supplié ta pitié ! Oh, comme j'ai gémis de volupté ! Et tu as répandu ta semence. Et je me suis retrouvée couverte de ta semence jusqu’à la ceinture ! Et je me suis écartée de toi . Et je t'ai demandé : Ť  désires-tu maintenant Rachel ? Si tu désire Rachel, je partirai et personne ne saura rien. De ce que j'ai été avec toi. ť Et tu m'as dit : Ť  ne t'écarte pas de moi ! Je te désire ! ť

 

Rachel pousse un grand cri.

 

Et alors je me suis retournée de nouveau, sur le dos. Et tu t’es allongé avec ton aine sur mes seins. Et j'ai caressé avec mes seins, grands comme des tours, l’intérieur de ton aine. Et tu as répandu ta semence sur mes seins. Et tu t’es mis à me demander de jouer de la flûte. Je riais et disais :  je ne sais pas jouer de la flûte. C’est Rachel, ma sœur, qui joue de la flûte. Et tu riais, toi aussi et tu m’as donné ta flûte et tu m'as appris à en jouer. Oh, comme j'ai joué ! Jamais, Rachel ne sortira une telle mélodie de sa flûte ! Oh, comme tu criais de plaisir ! Et tous les gens des environs entendaient ton cri et disaient : Ť Jacob durant sept ans n'a pas connu de femme. Et voilà que sa femme est dans sa tente. Et ça lui fait du bien ť. Et plus d’une fois, tu as versé ta semence dans ma bouche. Et je me suis trouvée remplie jusqu’à la gorge de ta semence. Et pour la deuxième fois, je me suis éloignée de toi et t'ai demandé : Ť Et à présent, aimes-tu Rachel ? Et ne faut-il pas que je m'en aille tant qu'il fait sombre, et que personne ne verra, qui de Léa ou Rachel était dans ta tente ť? Et pour la deuxième fois, tu m'as répondu : Ť  Léa, Léa ne t’écartes pas de moi ! Je t'aime !

 

Rachel crie et s'arrache les cheveux.

 

Et tu es entré en moi une multitude de fois. Et tu étais insatiable et tu ne parvenais pas à combler ton désir. Et nous avons entendu à l'aube, la flûte. Et pour la troisième fois, j'ai demandé : Ť Te souviens-tu de Rachel ? Et ne faut-il pas que je m'en aille maintenant, que tu es rassasié d’une femme ?ť Et pour la troisième fois, que m'as-tu répondu ? Ť  Léa, mon agnelle, ne t'écarte pas de moi ! Je ne me souviens plus de personne. ť

 

Rachel crie et se frappe la tête contre la pierre.

 

Jacob : (il frappe Léa)

Tais-toi ! Tes paroles ne sont que mensonge ! Rachel, ma bien-aimée, va-t’en et attends-moi dans ma tente.

 

Léa :

Toutes mes paroles sont vraies, Jacob! Et dis-moi, Rachel ! En quoi t’ai-je trompée? J'ai revêtu ta toilette de mariage sous tes yeux ! Sous tes yeux, j’ai déversé sur moi ta myrrhe ! Et je t'ai dit : Ť  Me voici, Léa, et je vais chez Jacob,  dans son lit. Et je serai sa femme ! ť Je te l’ai dit et je suis partie de chez toi pour aller chez Jacob. Toi, tu es restée. Et tu n'as pas couru, enroulée dans ta couverture, pour entrer avant moi dans la tente de Jacob. Et tu ne t'es pas jetée sur moi nue, et tu ne m'as pas arraché les cheveux, et tu ne m'as pas griffée, et tu ne m'as pas frappée. Tu m'as laissée partir chez Jacob, qui pendant sept ans n'a pas connu de femme et est devenu vulnérable face à son désir. Pourquoi cries-tu donc maintenant en présence de mon mari ? Et pourquoi t'arraches-tu les cheveux près de mon mari ? ! Et pourquoi te frappes-tu la tête contre cette pierre sous mes yeux et ceux de mon mari, Jacob ? Que veux-tu à présent, Rachel? Je suis la femme de Jacob. Et toi, qui es-tu pour lui ? Et qu’a-t-il à faire de tes cris? Mais va-t’en donc loin d'ici ! Qu'est donc mon mari pour toi, maintenant ?  Et qu'es-tu pour lui ?  Il n'aime et ne désire que moi ! Va-t’en d'ici, Rachel, et n'essaye pas de t’approprier mon  mari !

 

Jacob : (il se cache le visage avec les mains )

Va, Rachel , va, mon agnelle!

 

Rachel :

Et trois fois au cours de la nuit tu m'as reniée ! Et lorsque j'ai entendu cela mon âme est morte.

 

Jacob :

Rachel, Rachel. Et tu as cru Léa ?! Qui est Léa pour moi ? Voilà elle se tient devant moi. Et tu te tiens devant moi. Et je dis : je n'aime que toi, Rachel, je vais chez Laban !

 

Léa : (elle s'approche vers Jacob et se colle à lui)

Tu es menteur, mon mari , Jacob ! L'humidité coule de mon ventre sur mes cuisses parce que je vois que tu me désires tout de suite et tu te souviens de moi sur ton lit.

 

Jacob : (repousse Léa si fort qu'elle tombe par terre) 

Loin de moi, Léa ! Va, Rachel, va mon agnelle !

 

Léa : (Elle s’agrippe avec les mains aux jambes de Jacob, et se colle de tout son corps contre ses jambes. Et elle les couvre de baisers, et les caresse)

Tes mots s'adressaient à Rachel mais ton désir s'adresse à moi ! Et tu ne veux pas aller chez Laban. Mais tu veux me posséder ici même et tout de suite !

 

Jacob :

Rachel, ma bien aimée, cours, cours vite loin d'ici ! Je vais tout de suite chez ton père, Laban ! (Il pousse Léa de la jambe, la repousse et la jette.)

 

Léa : (criant)

 Tu la chasses, Jacob, parce que tu me désires ! (Elle se met à quatre pattes devant Jacob et gémit et se cambre.)  Jacob, mon mari ! Transperce-moi de part en part avec ton pieu, plus long et plus pointu que ceux qui soutiennent ta tente ! Brise-moi avec ton marteau, plus solide et plus lourd que celui avec lequel tu achèves le bétail ! Et donne à ma bouche, ta flûte ! Parce que mes lèvres s'assèchent sans elle !

 

Jacob comme hypnotisé s'approche vers Léa.

 

Et que je sois la litière sous tes fesses ! Et que je sois le vase pour recueillir ta semence.

 

Jacob saisit Léa par les jambes et Léa tombe le visage contre terre.

 

 

(Criant)Tourmente-moi, mon mari ! Piétine-moi ! Tous les supplices qui viennent de toi me sont délicieux ! Oh, prends-moi une dernière fois! Et que Rachel te possède!

 

Jacob : (se colle contre Léa)  

Cours, Rachel, cours ! Cours, ma bien aimée, cours !

 

Léa :

Attends, Rachel ! L’âme de Jacob est avec toi. Mais la chair, la chair de Jacob est en moi ! Os de mes os ! Chair de ma chair ! Possède donc sa chair, si tu peux ! Quant à l’âme de Jacob je n’en ai pas besoin ! Que ferais-je de son âme ?

 

Et Léa crie de plaisir : Ť oh, Jacob, mon mari ! ť

 

Et Jacob crie de plaisir : Ť je te hais, Léa ! ť

 

Et Rachel pousse un cri terrible.

 

Et tous les cris se mêlent.

 

Et Rachel brise sa flûte sur la pierre.

 

 

Noir

 

 

Quatrième tableau

 

un an a passé

 

 

Une tente. Au centre un grand lit recouvert d'une belle couverture. Un grand coffre. Un foyer. Un riche vasque. Des outres remplies d'eau. Un panier pour enfant.

 

Léa est assise sur le tapis et nourrit un enfant au sein. Elle est en grande pompe, somptueuse, belle, paisible.

 

Entre Rachel. Elle a l'air d'une vieille. Ses boucles noires se sont raplaties et l’on peut remarquer des cheveux blancs.

 Elle est vêtue de haillons et a les pieds nus.

 

 Rachel se tient silencieuse sur le seuil et regarde Léa.

 

Léa : (Aperçoit Rachel et pousse un cri d’effroi.)

Rachel !!!

(Elle se lève d’un bond, s'agite, cherche où elle pourrait cacher son enfant de Rachel.)

Ai-je envoyé quelqu'un te chercher ? T'ai-je appelée ? Pourquoi viens-tu chez moi ? Pourquoi te montres-tu dans notre tente, pécheresse ? Notre père, Laban a dit : Ť je n'ai plus de fille cadette, Rachel. ť Et mon mari, Jacob, s'il te voyait, ne reconnaîtrait pas en toi ma sœur cadette, Rachel ! Il te chassera hors de notre tente. Et pour moi tu n'es plus ma sœur ! Va-t’en loin d'ici !

 

Rachel :

Me voici Rachel, qui me tiens devant toi. Et dis-moi, Léa, que t'ai-je fait ? Quel mal t'ai-je amené ? Quel dommage t'ai-je causé ? Dis-moi, pourquoi tu me chasses ?  Permets-moi de regarder le fils de Jacob !

 

Léa :

Tu lui porteras le mauvais œil ! 

 

Rachel :

Mes yeux sont ceux de la colombe. Et tes yeux, Léa, sont ceux de l’autour. Et je ne porterai pas le mauvais œil au fils de Jacob et petit-fils de notre père, Laban.

 

Léa :  

D'accord. Regarde et va-t’en vite. (Elle découvre l’enfant devant Rachel.)

 

Rachel : (Regarde l'enfant et rit tendrement,  comme elle  riait souvent étant jeune fille.)

Comme ton fils ressemble à Jacob ! Et il me sourit. Je t’envie, Léa, ma sœur.

 

 

Léa : (Avec vanité)  

Dieu m'a jugée et a entendu ma voix ! Le Seigneur a eu pitié de mon malheur et m'a donné un fils. Et mon mari m'aime, à présent. Dieu m'a fait ce don merveilleux. Et dorénavant mon mari n'aimera que moi ! Mais va-t’en, maintenant ! Jacob rentrera bientôt. Et il ça lui déplaira que sa femme parle à une pécheresse.

 

 

 

Rachel : 

Je cherchais sous le figuier près du puits, ma flûte. Et làbas j'ai rencontré Jacob. Et il s'est approché de moi. Et il m'a regardé tristement et sans colère. Il a dit : Ť  va, Rachel, dans ma tente et attends-moi. Et ne pars pas de la tente. Je reviendrai et je te dirai tout ce que je dois te dire. ť

 

Léa :

Tu délires, Rachel ? Que  peut faire Jacob près d'un figuier sec ? Que peut chercher Jacob près d'un puits mort ? Tu délires ou bien tu plaisantes, Rachel ? Va-t’en hors d'ici !

 

Rachel : 

Non, Léa. Jacob, mon bien-aimé, m’as dit à l’instant : Ť  attends-moi, Rachel. ť  Je ne ne m’en irai pas, Léa, de cette tente. J’attendrai Jacob, mon-bien aimé. Ne me chasses pas, Léa de cette tente ! La colère de Jacob, mon bien-aimé, s’abattra sur toi.

 

Léa :

Que dis-tu, Rachel ? Jacob est mon mari. Il a répandu sa semence dans mon ventre. Et j'ai porté dans mon ventre son enfant. Et j'ai accouche d'un fils ! Et voilà, je tiens mon fils dans mes bras, devant toi ! Et toi tu es venue et trois fois tu m'as dit : Ť Jacob - mon bien aimé. ť

 

Rachel :   

Je ne dis que ce que l’amour a mis sur mes lèvres.

 

Léa :

Toi et moi, nous nous sommes croisées sur le sentier étroit entre les vignes. Où d’un côté, il y a un mur, et de l’autre il y a un mur. Et l'une de nous doit bien reculer. Est-ce donc à moi de reculer ? Jacob est mon mari. Et Dieu nous a envoyé la bénédiction d’un fils. Toi, tu es ma sœur! Pourquoi veux-tu être ma rivale?

 

Rachel :

Je cherchais ma flûte sous le figuier près du puits et je ne l'ai pas trouvée. Et j'ai rencontré Jacob, mon bien-aimé. Et il m'a dit : Ť attends-moi, Rachel ! ť Je suis venu ici et je l'attends.

 

Léa :

Je te ferai une flûte d'argent ! Et va-t’en avec, loin de mon mari, Jacob !

(Elle met l’enfant dans le panier et le berce.)

 

Rachel :

Et mon bien aimé m'a dit : Ť attends ! ť Et je ne prendrai la flûte que des mains de  Jacob.

 

Léa :

Je sais que Jacob dira. Il dira : Ť Léa, lave le corps de Rachel. Habille-la de vêtements propres. Et qu'elle s'en aille de chez nous pour toujours ! ť

(Elle remplit les cruches avec l’eau des outres.)

Voilà, je verse de l'eau dans la cruche pour laver ton corps. Déshabille toi et jette au feu tes haillons.

 

Rachel :

Merci, Léa. (elle se déshabille, jette ses haillons dans le feu et s'approche de la vasque.)

 

Léa : (s'approche de Rachel avec la cruche d'eau. )

Voilà tu te tiens nue devant moi . Et ton corps est fané, et sale, et blessé. Penche-toi donc au-dessus de la vasque. Je verserai l'eau sur ton corps. (Elle asperge Rachel.)

 

Rachel : (Elle se lave)  

Et me voilà de nouveau nue, devant toi. Et tu m’asperges (arroses) d'eau afin que j’aille propre à la rencontre de Jacob, mon bien-aimé. J'ai attendu Jacob pendant sept ans. Et les années se sont envolées comme sept jours. Parce que son désir était tourné vers moi. Et j'ai attendu Jacob un an. Et cette année s'est étirée comme une éternité. Parce que son désir n'était pas tourné vers moi.

 

Léa :

Je te donnerai les vêtements. Et tu t'habilleras. Je te donnerai du pain et de la viande. Prends et sors de notre tente. (Elle pose la  cruche près de la vasque. Elle donne une serviette à Rachel. Ouvre le coffre, et cherche des vêtements pour Rachel)

 

Rachel s'essuie avec la serviette.

L’enfant a pleuré.

Et Rachel se précipite vers l’enfant.

Mais Léa la repousse, et se précipite elle-même, et prend l'enfant dans ses bras.

Léa le berce et le calme.

Rachel s'approche du coffre, fouille dans les affaires et trouve sa robe de mariée.

Léa met l’enfant dans le panier s'approche de la vasque, prend la cruche pour la remettre à sa place.

Elle voit Rachel dans la robe de mariée et se fige, la cruche entre les mains.

 

Rachel ? ! Pourquoi tu as mis mon habit de mariée? Enlève-le ! Je te donnerai un autre habit !

 

Rachel :

Et Jacob m'a dit : Ť je vais chez ton père, Laban, et je lui dirai : Ť tu sais comme je t’ai servi.  Et comme ton bétail est devenu grâce à moi. Parce qu'avant moi tu avais peu de bêtes et maintenant tu en as beaucoup. Et Dieu a béni mon arrivée ! Sept ans j'ai travaillé pour Rachel, et toi, tu m'as menti et tu as changé ma récompense. Donne-moi Rachel. Qu’elle soit ma seconde femme. ť

 

Léa : (la cruche lui échappe des mains.)

Jacob veut faire entrer une pécheresse dans sa tente?! Et la garder près de son fils?! Laban ne donnera jamais sa bénédiction ! Voilà pour toi du pain et de la viande ! Et va-t’en loin d'ici, Rachel !

 

 

Rachel :

Et Jacob dira  à Laban : Ť donne-moi Rachel ! Sept nouvelles années je travaillerai pour elle. ť Et sept ans s'envoleront comme sept jours. Parce que j'appartiens à mon ami, et il ne me fera pas de mal. Et Dieu est témoin entre nous. Et dans sept ans, j'entrerai dans sa tente et je deviendrai sa femme. Et mon âme renaîtra. Il est plus facile d'attendre en sachant que ton attente sera comblée. Et quand les délais sont fixés.

 

Léa :

Travailler sept ans pour Laban ? ! Pour toi ? Pour une pécheresse ?  Quand va-t-il travailler pour sa maison ? Mais qu’a donc Jacob à faire de toi ? Qui es-tu pour Jacob ! En quoi peux-tu servir à Jacob ? Et qu’as-tu à faire de Jacob ?

 

Rachel :

J'ai ouvert à mon bien-aimé. Mais mon bien-aimé s'est retourné et s’en est allé. Mon âme est morte alors. Je l'ai cherché et je ne le trouvais pas. Je l'appelais mais il ne me répondait pas. Les bergers, qui gardent les troupeaux, m’ont rencontré. Et ils m'ont enlevé ma couverture. Et m'ont battue. Et blessée. Et ils m'ont insultée. Et je les ai adjurés: Ť Si vous rencontrez mon bien-aimé que lui direz-vous ? Que je me meurs d'amour. ť - Ť En quoi ton bien-aimé est-il meilleur que nous pour que tu nous supplies ainsi? ť - Ť Mon bien-aimé est le meilleur des hommes. Voilà qui est mon-bien aimé ! Et j’appartiens à mon bien-aimé et il m'appartient. ť

 

Léa :

Sept ans ! Dieu sait que je ne suis pas aimée, et il me donnera la fécondité d'un deuxième fils. Et j’enfanterai encore six fils de Jacob dans les sept prochaines années. Et je louerai Dieu ! Et mon mari se collera à moi et il m'aimera. Et je conduirai à lui mes servantes. Et il les prendra sur mes genoux.  Et mes servantes enfanteront de lui une multitude de fils encore. Et ils seront tous mes fils. Mon présent à Jacob! Que peux-tu donner à Jacob de plus que mes présents? Et qu’es-tu par rapport à tous ses fils ? !

 

Rachel : 

J'appartiens à Jacob. Et vers moi sont tournés tous ses desseins. Et c’est de moi qu’il parle en ce moment avec mon père, Laban. Et c’est de lui que je parle en ce moment avec toi.

 

Léa : 

Tu es vieille, Rachel, tu es vieille! Et tes yeux sont devenus ternes. Et pour la moitié, tes cheveux sont blancs. Tu es maigre et petite, et on ne voit pas tes seins. Et tes jambes ne sont pas fortes, et tes bras sont maigres et ton ventre, est creusé. Personne ne te désirerait sur son lit. Alors que moi pendant sept ans je saurai encore donner du plaisir à Jacob et lui complaire sur notre lit. Et quand j'ai conçu mon fils, et qu’il a grandi dans mon ventre, et que ma chair est devenue lourde… et que je ne pouvais plus être aussi habile et adroite et agile dans le lit comme aime Jacob … il a désiré d'autres femmes… Et alors, chaque nuit j'ai pris dans le troupeau une agnelle vierge, âgée d'un an, et je la prenais sur les genoux sur notre lit. Et je caressais Jacob, comme il aime, que je le caresse. Il prenait cette agnelle entre mes jambes. Et il était tout en sueur. Et il criait d'une voix animale. Et son visage était déformé. Et la sueur inondait son visage. Et il hurlait : Ť  je t'aime, Léa. ť  Et l'agnelle râlait plaintivement. Et son sang coulait sur mes jambes. Et je n’ai permis à aucune de ces agnelles de rester vivante. Et Jacob s'est aperçu que mon esclave, Zelfa,  avait le visage beau et le corps élancé. Et il l’a désirée. Et il ne voulait  plus se coucher avec moi. Je l’ai amenée dans notre tente et je l'ai allongée nue sur notre lit. Et j'ai allumé beaucoup de feux, pour que Jacob puisse bien voir sa beauté. Et j’ai frappée son corps nu avec un fouet. Elle gémissait, se cambrait et son corps s’est couvrert de cicatrices, de blessures. Jacob regardait et il l’a désirée plus fort encore. Et il l’a possédée sous mes yeux. Et il n’avait que faire de moi ! A je me suis mise le frapper avec le fouet. Quand il était allongé avec elle et la prenait. Et je l'ai frappé légèrement comme si je jouais avec lui . Et j'ai vu que cela lui plaisait. Alors je l'ai frappé fort avec le fouet comme s'il n'était pas mon maître mais mon esclave. Et cela lui plaisait. Et il criait : Ť Je t'aime, Léa ! ť Et chaque fois qu’il se couche avec Zelfa, je le frappe avec le fouet.  Et sans moi il ne veut pas se coucher avec Zelfa. Et Jacob a désiré une autre de mes esclaves, Valla. Et je lui ai attaché les pieds et les mains et je l'ai allongée sur le lit de Jacob. Il s'est mis en colère parce qu'elle n'était pas habile en amour, et il s’est mis à m'appeler : Ť ma bien aimée, Léa, viens et caresse-moi ! ť Et il était couché avec Valla et moi, je le caressais. Et il ne peut se coucher avec Valla si je ne le caresse pas. Et je prendrai pour Jacob une multitude de concubines et serai toujours la troisième dans son lit.

 

Rachel :

C'est abominable, Léa ! Toutes ces abominations que font les gens de cette terre, profanent la Terre ! Et la Terre vous renversera chaque fois que vous la profanerez, comme elle a renversé les nations qui vous ont précédé. Car si vous vous adonnez à toutes ces abominations, alors vos âmes seront anéanties par votre nation. Et tu agis selon des coutumes infames. Que d’autres avaient avant nous.  Et tu te salis, et tu salis Jacob.

 

Léa :

Dans sept ans,  Jacob ne voudra plus de toi. Et il dira : Ť Pourquoi ai-je travaillé pendant sept ans pour elle ? Que ferai-je d’elle dans mon lit ? ť  Et tu me supplieras, tu me promettras tout ce que je voudrais pour une nuit avec Jacob. Et je te donnerai mon prix ! Je te vendrai une nuit avec mon mari, Jacob, contre ta vie. Et je te ferai entrer sur la couche de Jacob, et je serai la troisième sur cette couche. Et Jacob partagera ses caresses entre toi et moi. En te possédant, il me caressera et acceptera mes caresses. En me possédant, il oubliera que tu es à côté. Et cette nuit deviendra pour toi non pas une nuit de plaisir mais  une nuit de souffrances. Et au matin je te conduirai sur la montagne. Et je prendrai le couteau des bergers et un fagot de bois. Et je ferai préparer un autel. Et je t'apporterai en sacrifice à Dieu au nom de Jacob, mon mari bien aimé.

 

Rachel :

Tu as peur de moi, Léa !

 

Léa :

Pourquoi devrais-je avoir peur de toi?

 

Rachel :

Tu as volé mon destin, et il s’est trouvé au-dessus de tes forces. Et tu ne peux rien donner à Jacob que la concupiscence. 

 

Léa :

Mais de quoi un homme a t-il besoin au delà de la concupiscence? De quoi Rachel?

 

Rachel :

De l’âme ! Ta demeure est solide, Léa, mais ta demeure se trouve sur un rocher.

 

Léa :

Rachel, ma sœur ! Je te donnerai une douzaine de bœufs, et une demi-douzaine de charrettes couvertes. Je remplirai ces charettes de grappes de raisin et de pommes couleur grenat, de figue, et de melons, d’oignons et de concombres, d’olives et d’ail; et de miel, et de farine de blé, et de différentes volailles, et de jarres de vin. Et je remplirai ces charrettes de bois de cèdre, de lin, et de laine de couleur rouge sombre et de vases en cuivre, et en fer. Et je déposerai dans ces charrettes des plateaux en argent et des coupes en argent. Et une lampe ciselée, en or, de la tige jusqu’aux aux fleurs ciselées. Et je te donnerai ma bénédiction ! Et je prendrai tous tes péchés sur moi. Je suis ta sœur aînée, Léa, qui remplace ta mère. Pars loin de nous, dans un autre pays ! Pars le plus loin possible de nous ! Va-t’en loin de nous ! Tu es différente de nous ! Et il n'y a pas de place pour toi parmi les gens de cette terre !

 

Rachel :

Et même si tu me donnais tous les trésors de ta maison contre  mon bien-aimé, je les repousserais tous avec mépris ?

 

Léa :

Tu es un serpent venimeux ! Tu n'es pas ma sœur, tu es ma rivale ! Je te tuerai ! (elle saisit une lampe et se jette sur Rachel.)

 

 

Rachel se cache avec les mains, pour se protéger de Léa.

 Jacob entre et voit tout ça.

 

Jacob : (en colère, menaçant.)

Léa, arrête !

 

Léa se fige brandissant la lampe.

 

Voilà Rachel, devant toi. Ma femme. J’ai la bénédiction de votre père, Laban. Il m'a dit : Ť Prends Rachel pour femme aujourd'hui. Et tu travailleras pour moi sept nouvelles années. ť Et pourquoi y a t-il des tessons dans ma tente ? (Il montre à Léa la cruche brisée) Ramasse ça, Léa !

 

Léa ramasse les morceaux de cruche brisée.

 

Prépare la couche, Léa, pour moi et pour Rachel ! (En colère) Qu’as-tu, Léa ? Tu n’entends donc pas ce que je t'ordonne?

 

Léa : (prépare la couche.)

 Je ferai tout ce que l’âme de mon mari Jacob voudra. Et je préparerai la couche. Et j’allumerai de nombreuses lampes. Et je ferai venir Zelfa et Valla. Et beaucoup d'autres esclaves, belles de visage et de corps. Et je prends dans le troupeau deux agnelles âgées vierges, d'un an. Et je mettrai pour tout le monde près de ta couche, beaucoup de vin et de viande. Et je te caresserai comme tu aimes. Et jusqu'à l'aube, tu ne pourras rassassier tes désirs.

 

Jacob :

Prends ton fils, Léa, et va-t’en. Et reste dans ta tente jusqu'à ce que ce soit moi qui vienne.

 

Léa :

Mais Rachel n'est pas habile en amour, elle ne connaît pas tes désirs. Et quand tu la posséderas, tu n'atteindras pas la jouissance à laquelle je t'ai habitué. Ce sera trop peu d’une seule Rachel sur ta couche.

 

 

 

Jacob :

J'ai assez d'une seule Rachel sur ma couche ! Tu as dépravé mon cœur ! Et à present il n'est pas aussi dévoué à Dieu, que le cœur de mon père, Isaac, et de mes aïeux. Prends ton fils, Léa, et va-t’en ! Rachel m'a attendu pendant sept ans. Et encore un an. Et je ne puis la faire attendre davantage. Tu m'entends, Léa ?

 
Léa prend la corbeille avec l'enfant et sort.

 

Et voilà, Rachel, tu es ma femme. Tu te tiens devant moi dans ma tente. Et moi, Jacob, ton mari je me tiens devant toi. Et personne ne peut nous séparer. Pourquoi restes-tu muette?

 

Silence

 

Et je ne reconnais pas en toi ma Rachel. Et soit ! Je me tiens devant toi. Et je n'ai pas envie de me coucher avec toi et te posséder. Et je ne me comprends pas moi-même. Qu'ai-je faire avec toi, Rachel, maintenant ? Et pourquoi ne puis-je vivre sans toi ? ! Qui est celui qui traverse le désert en s’appuyant sur sa bien-aimée ? Sous un figuier tu m'as réveillé avec ta flûte. Fort comme la mort, est l’amour. Les grandes eaux ne peuvent pas éteindre l’amour. Et les fleuves ne peuvent pas le noyer.

 

Silence

 

Pourquoi pleures-tu ? Et pourquoi ne bois-tu pas, ne manges-tu pas ? Et qu’est-ce qui afflige ton cœur, Rachel ? Dis-moi, quelle est la raison de tes larmes, en ce moment ?

 

Rachel :

Je pleure Esaü, ton frère.

 

Jacob :

Sept nouvelles années je travaillerai pour ton père, Laban, pour toi. Et six ans encore je travaillerai chez Laban pour ma maison et ma famille. Et j’ira par mon chemin en m'appuyant sur toi, ma bien aimée. J’enverrai au devant de moi des messagers à mon frère, Esaü. Et je leur ordonnerai : Ainsi vous parlerez à mon seigneur Esaü : voilà ce que dis ton esclave, Jacob Ť J'ai vécu chez Laban. Et j'ai des bœufs, et des ânes, et du petit bétail, et des chameaux, et des esclaves. Et prends la moitié de tout ce que je posséde comme présent pour toi. Et reçois moi, ton frère !ť

Et Esaü courra à ma rencontre. Il me prendra dans ses bras. Et se jettera à mon cou. Et il m'embrassera. Et nous pleurerons tous deux. Et il jettera un regard vers toi, Rachel, et il dira : Ť Qui est avec toi ? ť Et tu t’inclineras devant Esaü, mon frère. Et je lui dirai : Ť c'est Rachel, fille de Laban, ma femme. Elle versait des larmes sur toi, Esaü ! ť Et Esaü verra ton visage comme si c'était le visage de Dieu. Dieu m’a dit : Ť Je te bénirai, je te donnerai une descendance comme le sable de la mer, incalculable dans son immensité. ť Et ce n'est pas dans mes forces de porter seul mon destin et le destin de mon frère Esaü. Et que ma descendance et la descendance de mon frère, Esaü, accomplissent ensemble la bénédiction de notre père et de notre Seigneur.

 

Rachel : 

Je t'aime, Jacob. Je suis fier de toi, Jacob. Et mon âme t’appartient.

 

Jacob :

Et mon âme t'appartient, Rachel, pour toujours. Prends, Rachel, mon cadeau ! J'ai fait pour toi une flûte en argent. (il tend la flûte à Rachel.)

 

Rachel : (prend la flûte, l’examine et l’approche de ses lèvres.)

Je n'ai pas joué depuis longtemps de la flûte.

 

 

Jacob :

Assieds-toi près de moi, Rachel, ma femme, ma bien-aimée.

Pose ta tête sur mon épaule gauche. Je t’enlacerai de mon bras droit.

 

Rachel s'assoit près de Jacob sur le tapis.

 Elle penche la tête sur l'épaule de Jacob.

 Jacob la serre très fort.

 

Joue donc de la flûte pour moi, Rachel ! Joue toujours pour moi, mon agnelle !

 

Rachel assise dans les bras de Jacob joue de la flûte.

 

Fin